Grâce à la CFDT, le Ciep entre dans l’ère du dialogue social abonné

Le Centre international d’études pédagogiques n’avait connu aucune présence syndicale jusqu’à la création d’une section CFDT en 2014. Défi de ces pionniers : instiller la culture du dialogue social au sein de cette vénérable institution.

Par Marie-Nadine Eltchaninoff— Publié le 07/08/2018 à 07h40

Tapisseries et porcelaines, parquets d’époque et vue sur les jardins, le Centre international d’études pédagogiques installé dans l’ancienne manufacture royale de porcelaine de Sèvres offre un cadre très grand siècle aux 231 agents qui y travaillent. Cette institution, créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale sous l’égide du ministère de l’Éducation nationale, compte parmi ses missions la coopération internationale en matière d’éducation et la promotion de la langue française à l’étranger. Aucune représentation syndicale n’était venue troubler une gestion « familiale » des relations sociales jusqu’aux élections professionnelles de 2014. Emmanuel Bailles, qui est déjà élu délégué du personnel, se rend à l’évidence : difficile d’avancer sans s’adosser à une organisation syndicale. « Nous vivions dans une sorte de huis clos, se souvient-il. Les délégués du personnel s’excusaient de prendre la parole sur tel ou tel sujet. Nous avions alors eu connaissance de cas de souffrance au travail qu’il nous semblait impossible de dénoncer et de traiter en l’absence de syndicat dans l’établissement. »

“Le mot de syndicat était tabou”


Une action contre la souffrance au travail
La section a souhaité s’attaquer en priorité à la souffrance au travail. Un questionnaire sur le ressenti au travail a été distribué aux agents d’un service en difficulté. « Nous avons dépouillé l’enquête avec la direction, raconte Hélène, secrétaire du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Un psychosociologue est venu auditionner les agents individuellement, y compris les managers, cela a permis de repérer des dysfonctionnements au niveau du management et de l’organisation du travail et d’y remédier. »

Une démarche inclusive
Les groupes de travail (sur le télétravail ou la réduction de l’empreinte écologique) sont constitués d’élus CFDT et de représentants de la direction mais ouverts à des agents non élus et non syndiqués. « Néanmoins les agents qui participent acceptent d’être impliqués dans une dynamique syndicale, précise Emmanuel. Cette démarche inclusive est l’une des raisons du succès de notre action. »

La promotion de l’écologie… et de la convivialité
La section est à l’origine d’un partenariat avec les Jardins de Cocagne, association d’insertion par l’agriculture biologique. Des « jardiniers » sont venus expliquer leur démarche. Une trentaine d’agents ont adhéré et reçoivent des paniers bio chaque semaine, ils échangent des recettes et organisent parfois des déjeuners.

Après s’être documenté sur l’histoire du syndicalisme en France, Emmanuel se reconnaît une proximité intellectuelle avec la CFDT. « Je me suis syndiqué, puis deux autres délégués du personnel m’ont rejoint. Nous avons réussi à convaincre les collègues, adhérents ou sympathisants, de se présenter sur les différentes listes. Les élections nous ont permis d’obtenir la totalité des sièges de titulaires et suppléants dans chacune des instances – le comité technique d’établissement, la commission consultative paritaire et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. » L’implantation du syndicat n’est en revanche pas du goût de la direction de l’époque. « Lorsque j’ai fait état de mon adhésion à la CFDT, on m’a demandé, “en toute amitié”, de revenir à la raison. Le mot de syndicat était tabou. J’ai même entendu que si l’on commençait à appliquer la loi, c’en serait fini de l’institution ! », s’amuse Emmanuel. Placarder librement un tract sur le panneau syndical, obtenu de haute lutte, soulève une polémique, car l’affichage du moindre document doit être effectué par le secrétariat général ; pas question de confier la clé aux syndicalistes ! Bref, les débuts sont laborieux. « Il a fallu que la Fédération Sgen-CFDT intervienne afin d’appeler la direction au respect du dialogue social. » Hélène Hulin, aujourd’hui secrétaire du CHSCT, se souvient de cette période pionnière : « Emmanuel menait le combat seul. Je le voyais se débattre avec une direction alors fermée à toute évolution. C’est la raison pour laquelle j’ai adhéré ; il fallait créer un rapport de force. » Un raisonnement suivi par d’autres : la section compte aujourd’hui 26 militants et adhérents.

Un pouvoir d’influence au conseil d’administration

En tant qu’établissement public d’État, le Ciep dispose d’un conseil d’administration (CA). Le ministère de tutelle, l’Éducation nationale, mais aussi le ministère des Affaires étrangères y sont représentés. Des personnalités qualifiées et des représentants des agents y siègent également. À l’issue des élections au conseil d’administration qui se sont tenues en octobre 2017, la CFDT gagne les quatre sièges ouverts aux représentants du personnel, avec six suppléants. « C’est important, car le CA est l’instance de décision politique ; les missions du Ciep sont définies par la lettre de politique étrangère de la France arrêtée par le président de la République, et le conseil d’administration est présidé par une personnalité issue du monde diplomatique qui en précise les grandes lignes et vote le budget », explique Emmanuel. Faire entendre la voix des agents au plus haut niveau est une priorité pour la CFDT. Cet organisme public n’est pas à l’abri d’une soudaine volonté de réduction des coûts ou de restructuration. Les agents ont d’ailleurs échappé de peu à une fusion envisagée à la fin de 2016 à la suite du rapport de Thierry Lepaon, qui préconisait de regrouper l’Agence nationale de lutte…

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