Retour

[Hommage] François Chérèque. Le réformisme au cœur / Dix ans qui ont changé la CFDT

Publié le 26/01/2017

À la tête de la CFDT de 2002 à 2012, François Chérèque a profondément marqué l’organisation. Il a montré sa pugnacité et son courage sur de nombreux dossiers, sans autre objectif que de faire progresser les droits des salariés. Retour sur quelques moments clés de cette décennie.

Pour un baptême du feu en tant que secrétaire général, François Chérèque a été gâté : moins d’un an après avoir succédé à Nicole Notat à la tête de la CFDT, il se retrouve dans l’œil du cyclone de la réforme des retraites de 2003, qui prévoit l’allongement de la durée de cotisation. Que n’a-t-on lu et entendu au sujet du fameux « compromis acceptable » du 15 mai ? Cette journée est encore gravée dans la mémoire de nombreux adhérents et militants CFDT.

Jean-Louis Malys, alors secrétaire général de la CFDT-Lorraine et membre du Bureau national, se souvient : « La veille, on sortait d’une manifestation monstre sur le thème “on ne lâche rien”. » Le lendemain, sur le perron de Matignon, François Chérèque annonce un « compromis acceptable » avec le dispositif des carrières longues, qui permet à ceux qui ont commencé à travailler tôt de partir en retraite avant l’âge légal. Loin de se douter que trois ans plus tard, il deviendrait le « Monsieur Retraites » de la CFDT, Jean-Louis Malys raconte : « On a tout de suite compris que ce serait compliqué. Bien sûr, la maison a tangué, mais on a tenu bon, François le premier, parce qu’on savait qu’au-delà de la sortie un peu abrupte sur le plan de la communication, la position de la CFDT était juste. »

Un acquis social et une fierté CFDT

Et ce n’est pas le million de salariés qui a pu partir en retraite avant l’âge légal grâce à ce dispositif des carrières longues qui dira le contraire ! Une avancée qu’ils doivent, rappelle Laurent Berger, « à un seul homme : François Chérèque ». Cette mesure de justice sociale, si durement arrachée au Premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin, contre l’avis de son ministre des Affaires sociales François Fillon, est désormais reconnue comme un acquis social. Y compris par ceux qui, dans le camp syndical ou à gauche de l’échiquier politique, n’avaient pas de mots assez durs, en 2003, pour condamner l’attitude de la CFDT. Un retournement de situation que François Chérèque prenait avec humour et philosophie dès 2008 dans son livre Si on me cherche… : « J’ai toujours pensé […] que les pseudo-“trahisons” de la CFDT d’un jour sont généralement, pour les autres syndicats, les avantages acquis du lendemain ! » 

Au point qu’en 2010, toutes les organisations syndicales se mobiliseront – hélas sans succès en dépit des millions de manifestants – pour défendre les acquis de 2003 contre les attaques du gouvernement Fillon. L’héritage de 2003 « nous a permis de faire voter le principe de l’allongement de la durée de cotisation lors du congrès de Tours, en 2010, et surtout de pousser le gouvernement, en 2012, à rétablir le dispositif carrières longues, que la droite avait sérieusement rogné en 2008 », conclut Jean-Louis Malys, qui salue « le courage et la clairvoyance de François ».

 

Débattre pour se renforcer

FCHEREQUE RETRAITES 2003 REA 69471 15Mais, en 2003, il faut tenir la barre. S’ajoute, en 2004, l’épisode des « recalculés », qui voit des demandeurs d’emploi évincés de leur droit à indemnisation du fait du changement des règles de l’assurance-chômage. « Une erreur politique », a assumé François Chérèque : « Nous avons agi en gestionnaires froids, sans tenir assez compte de la réalité sociale derrière », dira-t-il dès 2005 dans son livre Réformiste et impatient ! L’organisation est secouée. François Chérèque impulse alors les « 40 débats », une tournée des responsables de la CFDT auprès des militants, pour expliquer la position sur les retraites et « se mettre en phase dans l’organisation », explique l’ancien secrétaire général adjoint Marcel Grignard. C’est aussi là que seront débattues les grandes orientations de la CFDT adoptées lors du congrès de Grenoble, en 2006, qui engagent un nouveau cycle de revendications – et d’avancées – de la CFDT. Ce congrès, tenu dans une chaleur accablante, comme en témoignent les photos montrant un François en nage sur scène, fut aussi celui de sa réélection triomphale comme secrétaire général.

 

« Le oui des retraites, c’est la force de notre non au CPE ! »

Juste avant, François Chérèque a l’occasion de prouver à ceux qui doutaient de sa combativité qu’ils se trompent.

En mars 2006, le Premier ministre de l’époque, Dominique de Villepin, impose, sans concertation, le contrat première embauche (CPE) – destiné aux moins de 26 ans, il peut être rompu sans motif pendant deux ans. La jeunesse est dans la rue. La CFDT est l’un des fers de lance de l’intersyndicale qui maintient une pression constante durant tout le printemps 2006, obtenant que le texte ne soit jamais appliqué. François Chérèque ne se contente pas de faire reculer le gouvernement : la CFDT pèse pour que l’« on ne puisse plus ignorer le dialogue social dans notre pays », dit-il alors dans les pages de CFDT Magazine. Ce rapport de force conduit au vote de la loi Larcher, en janvier 2007 : elle impose au gouvernement de proposer aux syndicats et au patronat d’ouvrir une négociation avant toute réforme du droit du travail.

À partir de là, François Chérèque inscrira durablement la CFDT dans un double sillon : l’emploi et le travail, d’une part, l’avenir du syndicalisme, d’autre part. Partant des orientations du congrès de Grenoble, la CFDT engage un vaste diagnostic des évolutions du marché du travail en amont de la négociation sur la modernisation du marché du travail. « Quand on aborde concrètement la négociation, en juin 2007, la CFDT peut s’appuyer sur un état des lieux des contrats de travail, une analyse des relations de travail et des motifs de rupture. Parallèlement, nous avons engagé une tournée auprès des militants pour prévalider les orientations de la négociation », se rappelle Marcel Grignard. Autant dire que pour François Chérèque, il n’est pas question de revivre 2003 ! Surtout, l’accord qui en est issu porte la marque de sa vision du syndicalisme : « L’accord conjugue deux approches : une réforme globale qui modernise le cadre du contrat de travail, avec la création de la rupture conventionnelle, et donne les orientations en matière de formation professionnelle et d’assurance-chômage ; et des droits concrets pour les salariés les plus précaires en diminuant le délai de carence et les conditions d’ancienneté d’accès à l’indemnité de licenciement ou d’assurance-maladie », détaille Marcel Grignard. Une double approche que François portera tout au long de son mandat à la tête de la CFDT : être à l’écoute des salariés, de la façon dont ils vivent leur travail et de leurs attentes, comme en témoigne son dernier livre, Patricia, Romain, Nabila et les autres ; regarder les évolutions du monde telles qu’elles sont et adapter le modèle économique et social en conséquence. « On a souvent dit que François a été un visionnaire. Je ne sais pas trop s’il aimerait ce terme, soulève Gaby Bonnand, ancien secrétaire national de la CFDT. Il ne s’agissait pas seulement, pour lui, d’être visionnaire mais de s’appuyer sur une vision nourrie du réel, partagée et construite ensemble, qui alimente l’action et la réflexion en même temps. »

SGdesOS 2008Divergence.NKR0044013            
Rassemblement des secrétaires généraux
des organisations syndicales lors de la réforme de la
représentativité en 2008. (Crédit: Divergence)
           

François Chérèque en était convaincu (et le congrès de Grenoble l’a affirmé haut et fort) : donner une plus grande place à la démocratie sociale nécessite des acteurs au-dessus de tout soupçon. Pour cela, il faut renforcer leur légitimité : ce sera la réforme de la représentativité syndicale, en 2008, construite et portée avec la CGT, qui donne aux salariés le pouvoir, par leur vote, de choisir l’organisation qu’ils veulent voir négocier, conclure et signer des accords. Cette réforme majeure comporte aussi un volet sur la transparence financière – les organisations syndicales doivent publier des comptes certifiés – complété ensuite avec des règles de transparence pour les comités d’entreprise. Un sujet auquel François Chérèque tenait : « Le premier trait de caractère de François était d’être un honnête homme, pour lui-même, pour la CFDT et pour le syndicalisme en général », souligne Marcel Grignard.

La légitimité des acteurs, François Chérèque ne la réserve pas qu’aux autres. « François était conscient que le syndicalisme est mortel et que son rôle de secrétaire général était de le faire vivre », assène Marcel Grignard. Avec le rapport « Le syndicalisme à un tournant… oser le changement ! », il secoue une nouvelle fois l’organisation. Cette fois-ci délibérément. Pour lui redonner toute sa vivacité, être plus proche des salariés, offrir un service aux adhérents, donner leur place aux jeunes, femmes et personnes issues de la diversité, renforcer son efficacité. « Son premier et principal souci était de bâtir un syndicalisme utile », rappelle Gaby Bonnand. Ce sera l’enjeu central du congrès de Tours, en 2010, puis de l’assemblée générale des syndicats, en novembre 2012, lors de laquelle il passe à Laurent Berger le relais de ce double sillon que la CFDT continue de tracer depuis. « Un grand secrétaire général de la CFDT, c’est quelqu’un qui sait trouver le point de rencontre entre l’histoire et la culture de l’organisation, dont il est le passeur, et sa capacité à la faire grandir et évoluer au regard des évolutions de la société », conclut Marcel Grignard. Un bel hommage à celui qui entendait rester « toujours un adhérent attentif et solidaire ».

nballot@cfdt.fr et aseigne@cfdt.fr

     


[assurance-chômage] Une négociation charnière

 Pour les demandeurs d’emploi, c’est sans doute l’accord le plus protecteur obtenu en matière d’assurance-chômage : en plus de rendre les droits plus simples et plus accessibles (avec la règle du « 1 jour cotisé = 1 jour indemnisé »), il cible les plus précaires en ouvrant l’indemnisation aux chômeurs dès quatre mois de travail.

Et pourtant… hormis la CFDT, les autres potentiels signataires (la CFE-CGC, la CFTC et FO, la CGT n’ayant jamais signé un texte sur l’assurance-chômage) refusent de le signer, en représailles contre la récente réforme de la représentativité syndicale ! « Nous sommes début 2009. Nous avons plaidé pour le principe des accords majoritaires dans la réforme de la représentativité. Et nous risquons de signer seuls sur l’assurance-chômage », se souvient Gaby Bonnand, le négociateur de la CFDT. François Chérèque refuse de se laisser acculer et de faire capoter une convention aussi favorable aux demandeurs d’emploi : « Si d’autres organisations refusent de s’engager, qu’elles fassent jouer leur droit d’opposition […] et assument leur refus d’une convention qui privilégie les salariés les plus précaires. » Ces avancées seront d’ailleurs consolidées deux ans plus tard dans la convention de 2011-2014, signée cette fois par quatre organisations syndicales…