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Discrimination : la prescription pour agir en justice est précisée

Publié le 26/05/2021

Une salariée qui découvre, il y a plus de 30 ans, qu’elle est victime de discrimination syndicale peut encore agir en justice pour obtenir réparation de son préjudice ! Pour la Cour de cassation, cela se justifie par le fait que la discrimination en question a continué à produire des effets jusqu’à une période non prescrite. Cass.soc.31.03.21, n°19-22.557.

Rappel des règles en matière de prescription

Jusqu’à la réforme de la prescription civile de 2008 (1), le salarié disposait d’un délai de 30 ans pour agir en justice afin d’obtenir réparation d’un préjudice résultant d’une discrimination (2).

Depuis, le salarié n’a plus que 5 ans pour agir à compter de la révélation de la discrimination (art. L. 1134-5 du Code du travail). Le Code du travail précise aussi que les dommages et intérêts doivent réparer l’entier préjudice résultant de la discrimination pendant toute sa durée.

Toutefois, compte tenu du fait qu’une discrimination est souvent continue, et par conséquent durable, la question se pose de savoir comment s’applique la prescription, plus particulièrement lorsque la dicrimination a démarré avant 2008 et s'achève après.

Lors de la réforme, des mesures transitoires ont été  prévues (article 26 II de la loi). Elles précisent que le délai de 5 ans s’applique aux prescriptions à compter du 19 juin 2008 (date de l’entrée en vigueur de la réforme) sans que la durée totale de la prescription ne puisse excéder la durée de 30 ans prévue par la loi antérieure.

Mais qu’en est-il lorsque les faits ont duré toute la carrière et qu’ils ont été en partie connus sur une période prescrite (plus de 30 ans avant l’action en justice) ? Doit-on partir du principe que l’action en justice est entièrement prescrite ou bien qu’elle reste ouverte, car les faits perdurent sur une période non prescrite ?

C’est là tout l’enjeu de notre affaire…

Une discrimination syndicale subie tout au long de la carrière

En l’espèce, il s’agit d’une salariée qui a été engagée en 1976 et qui a saisi la juridiction prud’homale en 2012 afin d’obtenir réparation d’un préjudice résultant d’une discrimination syndicale.

Cette discrimination a commencé dès 1977 (année de sa désignation en tant que déléguée syndicale) et s’est arrêtée en 2011, date de son départ à la retraite.

En 1981, la militante avait déjà constaté être victime de discrimination syndicale et avait manifesté son souhait de changer de poste.

L’inspection du travail l’avait alors soutenue dans sa réclamation, dans un courrier du 5 novembre 1981, ce qui a conduit l'employeur a la changer de poste. Néanmoins la discrimination syndicale a perduré : attribution de tâches ne correspondant pas aux compétences de la salariée, absence d’augmentation salariale, stagnation de sa classification malgré l’obtention d’une capacité en droit, absence d’entretien annuel d’appréciation, ou encore non-application d’un accord-cadre...

Pour la cour d’appel, l’action en justice est entièrement prescrite

Pour les juges du fond, le point de départ de la prescription remonte au 5 novembre 1981, date du courrier de réclamation fait à son employeur. La prescription (à l’époque trentenaire) a donc expiré depuis le 5 novembre 2011 ! Selon eux, en 2012, il n’est donc plus possible d’agir en justice pour la salariée.

Contrairement aux juges du fond, qui déclarent l’action en justice entièrement prescrite, la salariée considère que le fait de savoir qu'elle a été discriminée dès 1981 permettait de prescrire « au mieux les faits antérieurs à cette date, mais n’interdisait nullement à la salariée de faire reconnaître les faits de discrimination allégués postérieurement jusqu’à la mise en retraite en 2011 sur la période non prescrite ».

Selon elle, la cour d’appel aurait dû rechercher, après le courrier de 1981, «si les faits de discrimination syndicale allégués subis par la salariée dans le déroulement de sa carrière postérieurement à l’intervention de l’inspection du travail jusqu’à son départ en retraite (…) étaient également prescrits à la date de saisine de la juridiction prud’homale ».

Pour la Cour de cassation, l’action en justice est toujours possible

A notre connaissance, c’est la première fois que la Cour de cassation est confrontée à cette problématique. D’ailleurs, son arrêt est publié au Bulletin officiel.

Après avoir rappelé les textes applicables, la Haute Cour censure les juges du fond.

Selon elle, les faits discriminatoires dénoncés en 1981 sont couverts par la prescription trentenaire, mais elle souligne aussi que la salariée « faisait valoir que cette discrimination s’était poursuivie tout au long de sa carrière en terme d’évolution professionnelle, tant salariale que personnelle, ce dont il résultait que la salariée se fondait sur des faits qui n’avaient pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription ».

La salariée peut alors toujours agir en justice, peu importe que les premiers agissements de cette nature soient prescrits. Il s’avère que certains faits ne sont quant à eux pas prescrits du fait que la discrimination a perduré. Ceux-ci auraient donc dû être examinés par les premiers juges.

La Cour de cassation, en jugeant que « la salariée se fondait sur des faits qui n’avaient pas cessé de produire leurs effets », induit que la réitération, voire la continuité de la discrimination lorsqu’elle n’est pas corrigée, fait que la salariée est encore fondée à demander réparation, y compris lorsque les premiers agissements sont prescrits.

Or, en matière de discrimination, la répétition ou la continuité de la discrimination est chose courante... Cette décision, qui se veut protectrice pour le salarié victime de discrimination, a donc une portée non négligeable, ce qui est une bonne chose.

Cette décision aura probablement un impact positif sur le montant des dommages et intérêts pour le salarié…

Les dommages et intérêts couvrent toute la période (prescrite ou non)

Pour rappel, « les dommages et intérêts doivent réparer l’entier préjudice résultant de la discrimination pendant toute sa durée (3) »...

Dès qu’une partie des faits n’est pas prescrite, le salarié doit pouvoir obtenir réparation pour la totalité du préjudice.

En l’espèce, la salariée pourra faire reconnaître le préjudice subi depuis 1977, date des premiers faits caractérisant la discrimination syndicale dont elle se dit victime.

 

 

(1) Loi n°2008-561 du 17.06.08 portant réforme de la prescription en matière civile.

(2) Ancien art. 2262 C.civ.

(3) Art. L.1134-5 C.trav.

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