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Prud’hommes : “D’une élection de notoriété à une élection de crédibilité”

Publié le 22/01/2014

Pourquoi modifier la désignation des conseillers prud’hommes, comme le prévoit le projet de loi adopté ce 22 janvier en Conseil des ministres ? Éléments de réponse avec Laurent Loyer, représentant de la CFDT au Conseil supérieur de la prud’homie.

Pourquoi la CFDT soutient-elle la réforme des élections prud’hommes ?

Depuis la création du scrutin en 1979, le taux de participation aux élections prud’hommes n’a cessé de chuter. En trente ans, on est passé de 63% de participation à 25,5% en 2008. Un taux de participation si faible et un tel déclin menaçaient, à très court terme, de délégitimer l’institution prud’homale. C’est précisément ce que nous refusons. Vu le coût (ndlr : 95 millions d’euros en 2008) et la complexité d’organisation de ces élections, le risque aurait été qu’elles soient maintenues, sans vote à l’urne possible, avec uniquement un vote par correspondance et électronique. Cela aurait eu pour effet de les « désacraliser ». Le taux de participation aurait alors pu sombrer au risque d’entraîner la juridiction prud’homale avec lui. Dès 2002, la CFDT portait l’analyse que cette participation déclinante ne pouvait servir plus longtemps de test de représentativité. C’est forts de ce constat que nous avons porté la réforme de la représentativité à travers la position commune de 2008. À l’issue du premier cycle de mesure d’audience, la réussite du nouveau dispositif permet d’en tirer les conséquences pour désigner les conseillers prud’homaux.

Si les élections avaient été maintenues, le vote à l'urne aurait été supprimé et l'abstention aurait réellement menacé l'institution prud'homale. Nous le refusons !

D’aucuns considèrent qu’appuyer la désignation des conseillers prud’homaux aux élections professionnelles revient à détourner celles-ci de leur fonction première…

Les élections professionnelles ont déjà plusieurs fonctions. Leur objet premier est d’élire les représentants du personnel dans les entreprises. Depuis 2008, elles servent aussi à mesurer l’audience des organisations syndicales. C’est sur cette base qu’est mesurée la légitimité des acteurs pour pouvoir représenter les salariés, négocier et signer des accords qui engagent le plus grand nombre, siéger dans les instances paritaires, représenter les salariés dans les domaines économique et environnemental. C’est un scrutin protéiforme qui recueille pour sa part de forts taux de participation.

Peut-on aussi facilement faire le lien entre l’élection d’un représentant du personnel et la désignation d’un conseiller prud’hommes ?

Cette réforme permettrait de renforcer l’objet des élections professionnelles. La légitimité des élus au comité d’entreprise et des délégués du personnel en serait accrue. Or ces derniers sont les plus proches des salariés, outre qu’ils sont amenés, par la nature de leurs fonctions, à gérer des problèmes juridiques susceptibles de conduire aux prud’hommes s’ils ne sont pas résolus. Le lien existe donc déjà.

L'expérience prouve que l'abstention aux prud'hommes ne se résoudra pas par des modalités techniques.

N’était-il pas possible, comme le réclament certaines organisations syndicales, d’inciter davantage les électeurs à aller voter lors du scrutin prud’homal ?

Tout a été fait en ce sens en 2008. Le ministre du Travail de l’époque, Xavier Bertrand, avait fait de la hausse de la participation son objectif prioritaire. Une grande campagne d’incitation au vote avait été menée. Les modalités de vote par correspondance avaient été totalement libéralisées pour enrayer la hausse inexorable de l’abstention. Les urnes avaient été installées au plus près des entreprises, voire dans leurs locaux mêmes. Cela n’a pas empêché la participation de chuter de 8 points par rapport à la précédente élection. À Paris, où une expérimentation de vote électronique a été conduite, le taux de participation était de 17,5%, soit 8 points de moins que la moyenne nationale. C’est bien la preuve que le problème ne se résoudra pas par des modalités techniques. Le scrutin n’intéresse plus.

Pourquoi ?

C’est toute la question. Pourquoi les gens ne votent-ils pas ? Parce qu’élire des juges n’a rien de naturel. Mais aussi parce qu’on leur demande de se projeter dans la situation où ils seront licenciés. Aucun salarié ne souhaite envisager un tel avenir. Les électeurs ne se reconnaissent donc pas dans ce scrutin.

Des organisations syndicales soulignent que les demandeurs d’emploi seraient privés de droit de vote, avec la suppression des élections prud’hommes…

C’est vrai. Il faut dire que ceux qui sont le plus susceptibles de recourir aux prud’hommes sont ceux qui ont un contrat de travail. De plus, les demandeurs d’emploi n’ont pas vocation à le rester. Tout ce que l’on peut souhaiter, c’est qu’ils aient l’occasion de voter dans leur entreprise au cours d’un cycle de quatre ans de mesure de l’audience des organisations syndicales. En tout cas, c’est ce à quoi nous nous employons à la CFDT !

Des salariés ne risquent-ils pas de se sentir floués de leur droit à désigner leurs conseillers prud’homaux ?

L’enjeu, c’est que le justiciable, quel qu’il soit, considère que le système lui permet d’être correctement défendu par ses pairs, qui sont comme lui issus du monde du travail. Pour le reste, je doute qu’un quelconque salarié vote pour tel ou tel conseiller. Dans cette élection, seule l’étiquette compte et, comme dans tout scrutin de notoriété, il y a une prime à la radicalité.

La représentativité repose sur un plus grand nombre de votants.

Et que dire à ceux qui dénoncent une atteinte à la démocratie ?

La démocratie, c’est de permettre au corps électoral de désigner ses représentants. La représentativité est de ce point de vue plus efficiente puisqu’elle permet d’accroître le nombre de votants. On passe seulement d’une élection de notoriété à une élection de crédibilité, d’une élection sur sigle à une élection sur les résultats des organisations syndicales dans les entreprises.

Propos recueillis par aseigne@cfdt.fr

 

Un projet de loi à part

Initialement intégré au projet de loi sur la formation professionnelle, l’emploi et la démocratie sociale, la réforme du mode de désignation des conseillers prud’hommes a été adoptée dans un texte à part, ce 22 janvier en Conseil des ministres. Un projet de loi d’habilitation à réformer par ordonnances sera examiné par le Parlement dans le courant du printemps. Le ministre du Travail a annoncé la poursuite des consultations avec les organisations syndicales et patronales sur le sujet.

 

©Gilles ROLLE_REA