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CDD successifs : du nouveau sur les délais pour agir en requalification

Publié le 02/06/2021

Si le Code du travail prévoit des délais pour agir, il n’en définit malheureusement pas toujours le point de départ, ce qui est pourtant essentiel ! Plus encore lorsqu’il est question de faire requalifier son CDD en CDI, puisque le début du délai de prescription du salarié fluctue selon l’irrégularité commise par l’employeur.

Dans un récent arrêt, et pour la première fois, la Cour de cassation fixe le point de départ d’une action en requalification du CDD fondée sur le non-respect du délai de carence entre deux CDD successifs. Cass.soc.5.05.21, n°19-14295.

Les faits

Embauchée par une association le 24 avril 2009 en qualité d’aide cuisinière, la salariée a enchaîné de nombreux CDD avant d’être finalement embauchée en CDI le 17 mai 2011.  

  • Elle a commencé par un premier CDD de remplacement du 24 avril au 11 septembre 2009.
  • Puis un second CDD pour surcroît d’activité pour la journée du 12 septembre 2009 (contrat signé le 1er septembre).
  • Avant d’enchaîner sur un troisième CDD de remplacement, du 15 septembre 2009 au 8 avril 2011.

Seulement, le 28 mai 2014, la salariée saisit le conseil de prud’hommes demandant, entre autres, la requalification de la relation de travail en CDI et ce depuis le 12 septembre 2009, date à laquelle elle a commencé le second CDD. Elle considère en effet qu’entre le premier et le second contrat, l’employeur aurait dû respecter un délai de carence, comme le prévoit le Code du travail.

Qu’est-ce que le délai de carence ?

Pour éviter que les employeurs n’usent et n’abusent des contrats précaires (qui sont censés être l’exception, le CDI étant la règle), la loi leur impose de respecter un certain nombre de règles lorsqu’ils décident d’embaucher un salarié en CDD (ou en contrat de travail temporaire).

Ils doivent par exemple définir précisément dans le contrat de travail le motif pour lequel ils recourent à un CDD (1). Puis, d’autres règles régissent les modalités de succession de plusieurs CDD avec le même salarié ou sur un même poste de travail. Entre autres, lorsque des CDD successifs portent sur le même poste de travail, l’employeur doit respecter un délai de carence entre ces  contrats (2).

Ces formalités sont substantielles ! Et les sanctions lourdes pour l’employeur qui, faute de les respecter, s’expose à voir le CDD ainsi conclu requalifié en CDI (3).

Dans notre affaire, la salariée a donc bien raison. L’employeur aurait dû respecter un délai de carence entre le premier et le second CDD. Elle peut donc  parfaitement demander la requalification de son contrat sur ce fondement.

Pourtant, les juges du fond vont rejeter sa demande. Non pas que celle-ci ne soit pas fondée, car il y a bien une irrégularité, mais parce que selon eux, l’action de la salariée est prescrite ! Celle-ci se pourvoit donc en cassation.

En réalité, cette affaire soulève deux importantes questions.

- La première touche au point de départ du délai de prescription en cas d’action en requalification du CDD en CDI. Et sur ce point, cet arrêt va être pour la Cour de cassation, l’occasion d’apporter des précisions utiles - et surtout inédites !

- La seconde porte sur la durée du délai de prescription, car il faut savoir que ce délai a fait l’objet de plusieurs réformes depuis 2008. Il faut donc déterminer lequel s’applique dans cette affaire.

Quel est le point de départ du délai de prescription en cas d’action en requalification d’un CDD ?

Si le Code du travail fixe des délais de prescription, il n’est pas toujours précis quant à leur point de départ. Ce qui est regrettable, surtout en matière de CDD, où les motifs de requalification en CDI sont nombreux et sont tantôt prévus par la loi, tantôt par la jurisprudence... De sorte qu’au final, ce sont bien souvent les juges qui sont amenés à préciser les choses en fonction de l’irrégularité commise par l’employeur. Ils ont par exemple admis que ce délai d’action court à compter :

  • de la conclusion du contrat en cas d’action fondée sur l’absence d’une mention obligatoire au contrat (4) ;
  • du terme du contrat, ou, en cas de succession, du terme du dernier contrat, en cas d’action fondée sur le motif de recours au CDD (5).

Cela dit, les juges ne s’étaient pas encore prononcés sur le point de départ de l’action du salarié qui demande la requalification de son CDD en CDI au motif que l’employeur n’a pas respecté le délai de carence entre des CDD successifs. C’est désormais chose faite !

Pour la cour d’appel le délai de prescription d’une action en requalification d’un CDD en CDI fondée sur le non-respect du délai de carence court à compter de la conclusion du second contrat, soit, en l’espèce, à partir du 1er septembre 2009 (date de signature du CDD conclu pour la seule journée du 12 septembre).

Mais la Cour de cassation ne confirme pas ! Elle commence par rappeler que ce délai court à compter du jour où celui qui exerce l’action a connu, ou aurait dû connaître, les faits lui permettant d’exercer son droit (6).

Puis elle tranche : « la prescription de l’action en requalification de ce CDD en CDI, fondée sur le non-respect du délai de carence entre deux contrats successifs, courait à compter du premier jour de son exécution, le 12 septembre 2009 ». Contrairement à la cour d’appel, elle ne retient pas le jour de la conclusion, mais bien le 1er jour de l’exécution de ce second contrat.

Quel est le délai de prescription applicable ?

On l’a évoqué plus haut, au fil des années, le délai de prescription applicable aux actions en requalification d’un CDD en CDI a fait l’objet de réductions successives...  

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Il faut préciser que la loi du 14 juin 2013 a prévu des dispositions d’application transitoires[7] en cas de réduction de la durée du délai de prescription : ce nouveau délai de 2 ans s’applique aux prescriptions en cours à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi du 14 juin 2013, sans que la durée totale du délai de prescription puisse excéder la prescription de 5 ans prévue par la loi antérieure.

Dans notre cas, le contrat litigieux datait du 12 septembre 2009, l’action devant le CPH a quant à elle été engagée le 28 mai 2014.

Pour la cour d’appel, qui, rappelons-le, considère que le point de départ de l’action se situe au 1er septembre 2009 (date de conclusion du contrat litigieux), le délai d’action de la salariée a pris fin le 1er septembre 2013, soit 4 ans plus tard. Ce qui se comprend d’ailleurs difficilement, puisqu’elle reconnaît par ailleurs que c’est bien le délai de 5 ans qui s’applique à cette action... Bref, quoi qu’il en soit, selon la cour, l’action engagée par la salariée le 28 mai 2014 est donc trop tardive !

Là encore, la Cour de cassation va censurer les juges du fond. Les faits litigieux remontant à septembre 2009, c’est effectivement le délai de prescription de 5 ans qui s’applique.  Le point de départ de ce délai étant fixé au 12 septembre 2009, il prend fin au 12 septembre 2014.

Le fait que le délai de prescription ait par la suite été réduit à 2 ans par la loi du 14 juin 2013 n’a finalement pas d’incidence dans notre affaire, puisqu’en appliquant les mesures transitoires prévues par la loi, ce nouveau délai de 2 ans, qui court à compter du 14 juin 2013, ne doit pas porter le délai de prescription de l’action de la salariée au-delà des 5 ans prévus par la loi précédente[8], soit au plus tard le 12 septembre 2014, puisque son délai de prescription a débuté le 12 septembre 2009 (1er jour d’exécution du contrat). De sorte que l’action engagée par la salariée le 28 mai 2014 n’est pas prescrite.

Au-delà d’être la bienvenue, la précision apportée par la Cour de cassation est assez logique dans la mesure où c’est finalement le jour où le second CDD est effectivement exécuté que l’irrégularité tenant au non-respect du délai de carence entre 2 CDD successifs, est réellement consommée. C’est donc bien cette date-là dont il faut tenir compte pour déclencher le délai d’action du salarié.

 

 

(1) Art L.1242-12 C.trav.

(2) Art L.1244-3 C.trav : ce délai est calculé en fonction de la durée du contrat initial. La loi prévoit toutefois des cas dans lesquels le délai de carence ne s’applique pas [2]. Par exemple, lorsque le second contrat est conclu pour remplacer un salarié absent ou pour exécuter des travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité (Art L.1244-4-1 C.trav).

(3) Art L.1245-1 C.trav.

(4) Cass.soc.3.05.18, n°16-26437.

(5) Cass.soc.29.01.20, n°18-15359.

(6) Art L.1471-1 C.trav.

(7) Loi n°2013-504 du 14.06.13, art 21, V.

(8) En principe, en appliquant immédiatement la loi de 2013 à l’action de la salariée en cours, son délai de prescription de 2 ans aurait dû en reporter la fin au 14 juin 2015. Mais dans la mesure où ce nouveau délai ne doit pas porter le délai de prescription total au-delà du délai prévu par la loi précédente (5 ans), la date butoir du 12 septembre 2014 s’imposait à la salariée pour engager son action.