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Licenciement économique : être recruté en contrat d’insertion éloigne le risque

Publié le 14/09/2022

Après le prononcé d’un (ou de plusieurs) licenciement(s) économique(s), l’employeur doit ensuite déterminer de quel(s) salarié(s) il entend effectivement se séparer. Pour y parvenir, il doit se référer à ce que l’on appelle des « critères d’ordre ». L’un de ces critères est ainsi libellé : « la situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile (…) ».

La question qui se posait dans cette affaire était somme toute assez simple : le fait, pour un salarié, d’avoir été recruté par le biais d’un contrat d’insertion devait-il permettre de considérer que ce critère était rempli ? Cass soc. 12.07.22, n° 20-23.651, publié au Bulletin.

L’arrêt ici commenté, c’est d’abord l’histoire d’un parcours de vie compliqué... Celui d’un certain Monsieur S. ayant connu une « période de vaches maigres » dans le courant de sa vie professionnelle. Eloigné longuement de l’emploi, il n’en avait finalement retrouvé un que par l’entremise d’un contrat d’insertion, paraphé le 1er octobre 2008 d’un contrat d’insertion-revenu minimum d'activité (CI-RMA) pour être tout à fait précis ! Il s’agissait d’un dispositif contractuel, encore actif à l’époque des faits, mais qui a été définitivement abrogé le 1er décembre 2008 - soit 2 mois seulement après que monsieur S. ait paraphé le sien - afin de céder la place à son successeur : le contrat unique d’insertion (CUI)(1).

 

Mais alors qu’était-ce donc que ce CI-RMA ?
Un contrat dont l’objet était de « faciliter l'insertion sociale et professionnelle des personnes rencontrant des difficultés particulières d'accès à l'emploi dès lors qu’ils bénéficiaient du revenu minimum d'insertion (RMI), de l'allocation de solidarité spécifique (ASS), de l'allocation de parent isolé (API) ou de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) »(2).
Objet qui n’est pas très éloigné de l’actuel contrat unique d’insertion - contrat d’accompagnement dans l’emploi (CUI-CAE), qui est de « faciliter l’insertion professionnelle des personnes sans emploi rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières d’accès à l’emploi »(3).

 

Du recrutement en contrat d’insertion… au licenciement pour motif économique

Sous couvert d’une relation contractuelle à durée indéterminée - à laquelle il avait accédé soit dès la conclusion de son CI-RMA, soit au terme de son CI-RMA(4), Monsieur S. a exercé des fonctions d’agent de service à temps partiel... jusqu’à ce que le spectre du chômage refasse irruption sur son chemin au tout début de l’année 2012.

Pris dans une procédure de licenciement économique individuel, il est en effet « choisi » pour être licencié, le 17 janvier de cette même année.

Les critères d’ordre trouvent également à s’appliquer en cas de licenciement économique individuel(5).

S'agissant du licenciement de M.S, une question ne manque pas de se faire jour. Non pas tant sur le fait de savoir s’il y a eu, ou non, existence d’une cause réelle et sérieuse de licencier : cette cause réelle et sérieuse existait bel et bien et le sujet ne semblait pas faire débat. Mais plutôt sur le fait de savoir si c’était bien monsieur S. qui aurait dû être licencié économique. Car à l’évidence, dans le cadre de la procédure de licenciement économique initiée début 2012, Monsieur S. n’était pas le seul salarié à pouvoir être touché par un licenciement économique ! 

 

Recrutement en contrat d’insertion versus risque de licenciement économique  

Le licenciement économique est un licenciement non-inhérent à la personne. Ce qui veut dire que ce n’est pas la personne du salarié qui est à prendre en considération par l’employeur dans sa décision de licencier, mais le poste qu’il occupe.

Certes. Mais une fois le(s) poste(s) à supprimer identifié(s), encore faut-il que le choix de la (ou des) personne(s) à licencier puisse s’opérer. Et pour ce faire, il appartient à l’employeur d’appliquer ce que l’on appelle les « critères d’ordre de licenciement » et donc à s’appuyer, pour arrêter son (ou ses) choix, sur des éléments de profil des salariés concernés

Dans le Code du travail, c’est l’article L. 1233-5 qui se charge d’indiquer comment fonctionnent ces fameux « critères d’ordre ». Dans son écriture applicable à l’époque des faits, il précisait qu’« en l'absence de convention ou accord collectif de travail applicable » l’employeur devait définir « les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements » et que ces critères d’ordre devaient notamment prendre en compte, outre « les charges de famille -en particulier celles des parents isolés-, l'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise et les qualités professionnelles appréciées par catégorie », « la situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ».

Mais alors, le recrutement de monsieur S. en contrat d’insertion CDI - ou en CDI faisant suite à un contrat d’insertion - devait-il signifier qu’il cochait nécessairement la case « situation des salariés présentant des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés » ?

Cette interrogation est loin d’être académique car, s’il y avait lieu d’y répondre par l’affirmative, Monsieur S. aurait été davantage « protégé » de la menace de licenciement économique. 

 

Les juges du fond s’égarent ; la Cour de cassation recadre !

Or c’est par la négative que la cour d’appel d’Aix-en-Provence y a répondu. Les juges du fond ont en effet considéré que « l’employeur n’était pas tenu de prendre en compte la situation particulière du salarié, engagé dans le cadre d’un CI-RMA, qui ne correspond pas à une situation de handicap ». Mis en relation avec ce qu’exprime le Code du travail sur la question, notons tout de même que la dernière partie de cette motivation a de quoi interroger…

« Qui ne correspond pas à une situation de handicap » ? En quoi était-il important de le relever ? Puisqu’il est tout de même bien clair que l’article L. 1233-5 du Code du travail n’a jamais entendu faire de la « situation de handicap » un incontournable des « caractéristiques sociales rendant » la « réinsertion professionnelle particulièrement difficile » mais seulement une éventuelle déclinaison desdites caractéristiques, presqu’un exemple : rien de plus !

Aussi l’équation posée par la cour d’appel - pas de « situation de handicap » = pas de « caractéristiques sociales rendant » la « réinsertion professionnelle particulièrement difficile » - n’avait-elle aucun sens !

La Cour cassation ne pouvait donc que remettre les pendules à l’heure en censurant une interprétation à ce point biaisée de la lettre de la loi(6). Ce qu’elle a fait en cassant l’arrêt d’appel.

Solution logique donc. Mais encore nous faut-il réfléchir à la portée à donner à cet arrêt... Ce que nous ferons en soulevant trois points distincts.

 

- 1er point. Pour casser l’arrêt rendu par les juges du fond, les juges du droit relèvent qu’il y a été jugé que « l’employeur n’était pas tenu de prendre en compte la situation particulière du salarié, engagé dans le cadre d’un CI-RMA, qui ne correspond pas à une situation de handicap ».

Aussi est-on en droit de se demander s’il y a eu censure uniquement en raison de la motivation, à l’évidence erronée, de l’arrêt d’appel, ou s’il y a eu censure parce que, dans tous les cas, il y a lieu de considérer qu’un salarié recruté en contrat d’insertion doit être considéré comme « présentant des caractéristiques sociales rendant » sa « réinsertion professionnelle particulièrement difficile ». Pour la CFDT, c’est clairement la deuxième éventualité qui est à retenir !

 

- 2è point. Dans son arrêt, la Cour de cassation précise que ce sont les « salariés engagés dans le cadre d’un contrat d’insertion" qui sont concernés par le critère d’ordre « caractéristiques sociales rendant » la « réinsertion professionnelle particulièrement difficile ».

Cette précision mérite d’être soulignée et approuvée. Pourquoi ? Parce que les contrats d’insertion (feu le CI-RMA comme ceux actuels) peuvent être conclus, à la discrétion de l’employeur, soit en CDD, soit en CDI mais que, dans la plupart des cas, ils le sont en CDD, éventuellement suivis d’une pérennisation en CDI.

Si la Cour de cassation n’avait visé que les salariés en contrat d’insertion CDI et non les salariés « engagés dans le cadre d’un » contrat d’insertion, la déperdition aurait alors été énorme !

 

- 3è point. La solution ici dégagée concerne un contrat d’insertion qui n’a plus cours aujourd’hui. Peut-on en déduire qu’elle doit être vue comme transposable aux contrats d’insertion actuels ? A l’évidence oui, puisque le CUI-CIE actuellement en vigueur a, peu ou prou, le même objet que l’ex-CI-RMA !

 

(1)Art. 23 de la loi n°2008-1249 du 01.12.08.

(2)Art. L.5134-74 al. 1er ancien C. trav.

(3)Art. L.5134-20 C. trav.

(4)Question que la lecture de l’arrêt ne nous permet nullement de trancher. A son époque, le CI-RMA pouvait en effet être conclu soit en CDD (de 6 à 18 mois), soit en CDI (assorti d’une « période aidée » de 18 mois). Monsieur S. a donc très bien pu travailler soit directement sous couvert d’un CI-RMA / CDI, soit sous couvert d’un CI-RMA / CDD suivi d’un CDI.

(5)Art. L. 1233-7 C. trav.

(6)Paragraphe 9 de l’arrêt ici commenté.

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