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CSE : élu suppléant et représentant syndical, deux mandats (encore) incompatibles

Publié le 20/02/2019

S’agissant du comité social et économique (CSE), les conditions requises pour pouvoir devenir représentant des salariés suppléant et représentant syndical sont exactement les mêmes que celles sous l’empire de l’ancien comité d’entreprise (CE). Pourtant nos équipes ont pu récemment se poser la question de savoir si l’incompatibilité entre ces deux mandats était toujours de mise. A l’origine de ce trouble, l’exclusion (légale) aux réunions du CSE des représentants des salariés suppléants laissant penser que les deux mandats étaient désormais compatibles. Une fausse bonne idée que la justice est venue retoquer par le biais de deux jugements de tribunaux d'instance (TI de Lorient du 20.11.2018, n° 11-18-001343 et TI de Cherbourg-en-Cotentin du 18.12.18, n° 11-18-000784).  

  • Les faits

Dans chacune des deux affaires ici commentées, un militant CFDT, d’abord élu en qualité de représentant des salariés suppléant lors de la mise en place d’un CSE, a été dans la foulée désigné par son syndicat afin de siéger en qualité de représentant syndical eu sein de ce même CSE (RSCSE). Dans la première affaire, cette opération a été réalisée au niveau d’un CSE d’établissement mis en place au niveau d’un magasin Carrefour de Lorient, avec une élection le 12 octobre 2018 prélude à une désignation le 23 octobre suivant. Dans la seconde, elle l’a été au niveau d’un CSE d’entreprise mis en place au sein de la société Orano Cycle, avec une élection le 19 octobre 2018 prélude à une désignation le 6 novembre suivant.

Dans les jours qui suivront ces désignations, les employeurs concernés saisiront tous deux la justice afin d’en requérir leur annulation. 

  • Les ingrédients de la problématique juridique

Pour bien appréhender la problématique juridique ici posée, il nous faut d’emblée préciser qu’elle s’articule autour de trois éléments distincts :

1er élément : les conditions requises pour pouvoir être désigné RSCSE :

Sous l’empire des CE, l’article L. 2324-2 ancien du Code du travail précisait que, dans les entreprises de 300 salariés et plus(1), « chaque organisation syndicale représentative dans l’entreprise ou l’établissement » pouvait « désigner un représentant syndical au comité ». Ce dernier devant simplement être choisi par l’organisation syndicale concernée parmi les membres du personnel de l’entreprise remplissant les conditions d’éligibilité au CE (18 ans révolus, ancienneté dans l’entreprise d’au moins 1 an et ne pas être lié au chef d’entreprise par un lien de famille trop rapproché). 

L’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 a certes consacré l’entrée dans l’ère nouvelle des CSE mais, force est de constater, qu’elle n’a strictement rien n’a changé aux conditions de désignation du RSCSE. Celles-ci sont désormais visées au sein de l’article L. 2314-2 nouveau du Code du travail qui n’est rien d’autre qu’un parfait copier / coller de l’article L. 2324-2 ancien de ce même Code (ci-avant évoqué).

2ème élément : l’incompatibilité entre les mandats de représentant des salariés au CSE et de RSCSE

Le Code du travail n’a jamais expressément prévu l’existence d’une telle incompatibilité. C’est en fait une jurisprudence tout à la fois ancienne et particulièrement stabilisée de la Cour de cassation qui en a disposé ainsi. Dans un arrêt rendu le 17 juillet 1990, la Haute juridiction est en effet venue préciser que « le même salarié ne peut siéger simultanément dans le même comité en qualité à la fois de membre élu et de représentant syndical auprès de celui-ci, les pouvoirs attribués par la loi à l’une et à l’autre de ces fonctions étant différents »(2)

3ème élément : la mise à l’écart des représentants des salariés suppléants des réunions des CSE par l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017

C’est bel et bien sur ce dernier point que les équilibres ont vraiment bougé.

Sous l’empire des CE, en effet, l’article L. 2324-1 alinéa 2 ancien du Code du travail précisait que « les suppléants » assistaient « aux séances du comité avec voix consultative » tandis que désormais, sous l’empire des CSE, l’article L. 2314-1 alinéa 2 nouveau de ce même code indique, sans plus de précision, que « le suppléant assiste aux réunions en l’absence du titulaire ».

D’une réflexion menée autours de ces trois éléments, il a pu ressortir le questionnement qui suit : L’incompatibilité entre la fonction de représentant des salariés suppléants et celle de représentant syndical telle que la jurisprudence l’avait consacrée à propos des CE a-t-elle encore un sens à l’heure des CSE puisque, dans ces comités d’un nouveau genre, la participation de droit du représentant des salariés suppléant aux différentes réunions n’est désormais plus de mise ? Et qu’en conséquence, le risque pour un militant de devoir siéger comme représentant des salariés suppléant et en même temps comme représentant syndical n’existe plus ….

Questionnement que le tribunal d’instance de Lorient puis celui de Cherbourg-en-Cotentin se sont évertué à résoudre.

  • Les débats judiciaires et le sens des décisions rendues par les tribunaux d’instance

Lors des débats judiciaires, nos équipes sont avant tout venues défendre la désignation qu’avait opérée les syndicats et qui se trouvaient contestée par les employeurs. Elles ont à cette occasion mis l’accent sur le recul des droits des représentants des salariés suppléants au CSE en insistant plus particulièrement sur leur mise à l’écart (par la loi) des réunions.

Or, la jurisprudence de la Cour de cassation, qui avait fondé l’existence même de cette incompatibilité, pour l’essentiel sur l’idée qu’une seule et même personne ne pouvait pas simultanément siéger dans une seule et même instance afin d’y gérer 2 mandats distincts impliquant l’exercice de pouvoirs et de prérogatives qui l’étaient tout autant.

Aussi, à première vue, il pouvait donc sembler que la réforme de 2017 avait contribué à donner un sacré coup de vieux à la jurisprudence de 1990 ! Car si les prérogatives des représentants élus des salariés et des représentants syndicaux étaient bel et bien toujours les mêmes, leur capacité à participer aux réunions du comité, elle, avait pour partie très sensiblement évoluée ; les représentants syndicaux continuant à y avoir leur place et les représentants du personnel suppléants en étant, eux, désormais exclus.

Et cette dernière évolution avait une résultante bien palpable : Un représentant des salariés élu au CSE qui cumulerait son mandat avec celui de RSCSE ne risquerait plus de siéger simultanément au CSE au titre de deux mandats différents. Soit il viendrait en réunion du CSE en sa qualité de RSCSE, soit il y viendrait en sa qualité de représentant des salariés suppléant mis en position de remplacement effectif d’un représentant des salariés titulaire absent. Dit autrement, ce ne pourrait plus être l’un et l’autre mais l’un ou l’autre.

Aussi, la proscription du cumul des mandats de représentant des salariés et de représentant syndical telle qu’issue de la jurisprudence de 1990 devait-elle être encore vue comme d’actualité ?  

Dans ces deux dossiers, les juges d’instance ont malgré tout répondu que « oui » et, ce faisant, ils ont donné raison aux employeurs en ouvrant la porte à l’annulation de la désignation de nos militants comme RSCSE(3). Et ce pour les motifs qui suivent :

- Les fonctions de chacun de ces 2 mandats n’ont pas été substantiellement modifiées via le passage du CE au CSE ; le CSE étant, à l’instar de son illustre prédécesseur, un organe de représentation « régi par le principe de la triple représentation patronale, salariée et syndicale ». Ce qui a d’ailleurs conduit le législateur à ne pas expressément autoriser un tel cumul de fonctions comme il avait pu antérieurement le faire s’agissant d’autres mandats(4).

- La possibilité de siéger alternativement (et non plus simultanément), soit en qualité de représentant des salariés, soit en qualité de RSCSE ne peut être reconnue car, en l’absence d’un représentant des salariés titulaire, elle serait susceptible de conférer un « droit d’option » au représentant disposant de la double casquette : soit venir en tant que représentant des salariés et accéder au droit de voter, soit venir en tant que RSCSE et ne pas accéder à ce droit. Et ce faisant d’« entrainer une vacance de l’une de ces 2 fonctions », hypothèse qui, souligne le tribunal d’instance de Cherbourg-en-Cotentin au terme de sa motivation, « ne semble pas avoir été envisagée par le législateur en l’absence de dispositions textuelles ».

  • Quelle conclusion en tirer pour nos pratiques syndicales ?

A la lumière de ces premières décisions rendues par la justice -et de leurs motivations-, il ne semble vraiment pas opportun de procéder à la désignation comme RSCSE d’un représentant des salariés suppléant.

Procéder ainsi permet certes de rouvrir les portes du CSE à l’un de nos représentants du personnel suppléants qui, en tant que tel, ne pouvait plus y siéger. Oui mais voilà, à supposer qu’une telle désignation ne fasse pas l’objet d’une annulation judiciaire, nombre de difficultés pratiques seraient susceptible de se faire jour.

Bien sûr, tant que le militant représentant des salariés suppléant et RSCSE ne serait pas amené à suppléer au remplacement d’un représentant des salariés titulaire, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais dès lors qu’il serait amené à suppléer, il ne pourrait alors plus assumer son rôle de RSCSE ! Que devrait alors faire le syndicat dans un tel cas de figure ? Le démandater pour mandater un autre militant ? Difficile à envisager … Et en aurait-il d’ailleurs le temps si l’indisponibilité du représentant des salariés titulaire devait être connue quelques heures seulement avant la réunion ? Le siège de RSCSE ne risquerait-il pas alors de rester vide ? Avec quelles conséquences pour la crédibilité du syndicat ? Et que faire si, par exemple, l’absence du représentant des salariés titulaire ne devait être que ponctuelle ? (Si possible), démandater le RSCSE pour une seule réunion et mandater un autre militant pour un temps très court … pour in fine le remandater ?

Au bout du compte, quel sens de telles pratiques auraient-elles ?

Mais par-delà ces considérations purement pratiques, nous nous pouvons également nous interroger sur le fait de savoir s’il ne serait pas politiquement dangereux d’opter pour la désignation d’un représentant des salariés suppléant en qualité de RSCSE. Car, à n’en pas douter, un tel positionnement pourrait avoir pour corollaire de remettre en cause la jurisprudence de 1990 et pour conséquence ultime de renoncer à négocier, partout où c’est possible, la présence de représentants des salariés suppléants aux réunions du CSE.

Ce faisant nous considérerions en effet que l’exclusion légale dont font aujourd’hui l’objet les représentants des salariés suppléant n’est rien d’autre qu’un horizon indépassable que rien, pas même le biais du dialogue social, ne serait à même de contrer. Perspective que le syndicat réformiste que nous sommes ne pourrait pas se résoudre à accepter …

  



(1) Dans les entreprises de moins de 300 salariés, c’est le délégué syndical qui est, de droit, RSCSE (comme il était, de droit, RSCE préalablement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017). Cf. art. L. 2143-22 al. 1er C. trav.

(2) Cass. soc. 17.07.90, n° 89-60.729.

(3) Le tribunal d’instance de Cherbourg-en-Cotentin a purement et simplement annulé la désignation du militant comme RSCSE tandis que celui de Lorient a « offert » au militant concerné un droit d’option (actionnable dans les 15 jours suivants le prononcé de la décision) afin qu’il choisisse entre son mandat de représentant des salariés suppléant et celui de RSCSE.

(4) Cf, par exemple, l’article L. 2314-19 ancien du Code du travail : « Il n’y a pas d’incompatibilité entre les fonctions de délégués du personnel et celles de membre du comité d’entreprise ».