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Licenciement économique : la baisse du chiffre d’affaires s’apprécie strictement

Publié le 29/06/2022

Selon la loi travail de 2016, les difficultés économiques susceptibles de justifier le prononcé d’un licenciement économique se justifiaient par la simple satisfaction de critères comptables sur un temps donné. Ainsi par exemple d’une baisse de chiffre d’affaires sur 4 trimestres consécutifs dans les entreprises de 300 salariés et plus… qui en tant que telle suffit à caractériser l’existence de difficultés économiques. Dans un arrêt récent, la Cour de cassation est pour la première fois venue préciser de quelle manière ces critères devaient être appliqués. Cass.soc.1.06.22, n° 20-19.957, publié au Bulletin.

2017. La société Albert, qui compte alors plus de 300 salariés, se trouve en butte à des difficultés économiques. Et ce sont précisément ces difficultés économiques qui conduisent une salariée exerçant en qualité d’assistante à accepter la rupture de son contrat de travail via une adhésion à un contrat de sécurisation professionnelle (CSP), dans le cadre d’une procédure de licenciement économique.

Le licenciement économique est notifié le 2 juillet 2017. Faisant état des difficultés économiques alors rencontrées par la société, l’employeur s’est référé à l’un des critères comptables consacrés par la loi Travail de 2016 comme étant susceptible d’en matérialiser l'existence. A savoir ici : une significative baisse du chiffre d’affaires, caractérisée par « une baisse au moins égale à 4 trimestres consécutifs » - baisse en l’espèce enregistrée sur les 4 trimestres de 2016, par rapport au niveau de chiffre d’affaires qui était celui de 2015.     

Par la suite, la salariée contestera le maniement par l’employeur de ce critère comptable et, ce faisant, la validité de son licenciement économique. Elle se tournera vers le conseil de prud’hommes pour y réclamer le versement d’une indemnité compensatrice de préavis et surtout, des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Objectivation des difficultés économiques

Rappelons-le, en matière d’appréciation des difficultés économiques susceptibles de justifier le prononcé d’un licenciement économique, la loi Travail de 2016 a très sensiblement changé la donne.

Préalablement à cette évolution législative, la loi se contentait de préciser que le licenciement pour motif économique était celui effectué par l’employeur « pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques »(1).

Or rien ne précisait dans le texte ce qu’il fallait entendre par « difficultés économiques » ! Aussi, et pour tenter d’en déceler l’existence, les juges n’avaient-ils d’autre choix que de se livrer à une appréciation in concreto de la situation, en usant de la technique dite du « faisceau d’indices »(2). Le pouvoir d’appréciation du juge était alors conséquent !

Mais depuis cette évolution législative, ce pouvoir d’appréciation s’est trouvé considérablement restreint. La loi est en effet venue affubler la notion de « difficultés économiques » de critères comptables devant être mécaniquement satisfaits pour que telles difficultés soient reconnues comme existantes. C’est ainsi qu’elle précise désormais que les difficultés économiques ont à être caractérisées par « l’évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés » ; « Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires » devant être considérée comme  « constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :

a) un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus»(3).

Si les « difficultés économiques » de l’entreprise trouvent à se justifier par une baisse du chiffre d’affaires, ce sont alors les critères comptables exposées aux points a à d de l’article L. 1233-3 du Code du travail qui doivent nécessairement être satisfaits. Et si, comme dans l’arrêt ici commenté, l’entreprise compte plus de 300 salariés, ce sont alors 4 trimestres consécutifs de baisse « en comparaison avec la même période de l’année précédente » qui doivent nécessairement être enregistrés !

Controverses autour d’une telle objectivation

Dans cette affaire, employeur et salarié se sont opposés sur deux points précis relatifs à la mise en œuvre du critère comptable du chiffre d’affaires.

Et, comme nous le verrons, les juges du fond ont donné satisfaction à l’employeur pour chacun d’entre eux.

- 1er point - La baisse du chiffre d’affaires devait-elle être appréciée au jour du prononcé du licenciement ou à celui de l’enclenchement de la procédure de licenciement ?

Pour la cour d’appel, c’est la date du déclenchement de la procédure de licenciement qui devait être retenue.  A savoir, et en l’espèce, une date se situant au deuxième trimestre de l’année 2017.  

- 2è point - Les données comptables relatives à la baisse de chiffre d’affaires à prendre en considération devaient-elles être celles relatives au dernier exercice comptable clos (en l’espèce, celui de 2016) ou bien celles relatives à tous les trimestres précédents, y compris ceux rattachés à une année comptable encore inachevée ?

Pour la cour d’appel, les données comptables à prendre en considération devaient être celles relatives au dernier exercice comptable clos. Et donc en l’espèce, aux 4 trimestres constitutifs de l’année 2016 ; 2016 ayant ici été en recul de 22 835 millions d’€ par rapport à 2015. Un tel positionnement revenait donc à écarter le premier trimestre de l’année 2017, qui était pourtant connu et se traduisait par une très légère hausse du chiffre d’affaires de 0,5 % par rapport à 2016.

Mais les juges du droit n’ont pas manqué de remettre les pendules à l’heure en prenant, point par point, l’exact contre-pied des juges du fond.

 - 1er point - La Cour de cassation vient rappeler quelle est, en la matière, sa jurisprudence constante. A savoir que « le juge doit se placer à la date du licenciement pour apprécier son motif »(4) et qu’en conséquence, la durée d’une baisse de chiffre d’affaires doit s’apprécier « en comparant le niveau de chiffre d’affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l’année précédente de la même période ».

- 2è point - Conséquence logique de la position prise sur le premier point, la Cour de cassation considère qu’il n’y a lieu d’apprécier le niveau du chiffre d’affaires par référence à un exercice comptable clos… mais par référence à des trimestres glissants… à compter donc de la date de la notification de la rupture du contrat de travail.

Déclinaison de la règle au cas d’espèce

Dans cette affaire, la salariée avait été licenciée économique début juillet 2017. A cette date, le niveau de chiffre d’affaires du premier semestre 2017 était connu. En conséquence, les trimestres à prendre en considération étaient les 3 derniers de l’année 2016 et le premier de 2017.

Or, et comme nous l’avons vu, à la différence des 3 derniers de 2016, le premier de 2017 avait vu le chiffre d’affaires connaitre d’une embellie - fragile certes - mais d’une embellie quand même de 0,5 %.

Pour la Cour de cassation, les choses sont donc claires. En jetant un œil dans le rétroviseur, à la date de prononcé du licenciement économique, il n’y avait pas 4 trimestres consécutifs de baisse du chiffre d’affaires. La baisse du chiffre d’affaires ne pouvait donc être considérée comme « significative » au sens de l’article L. 1233-3 du Code du travail dans sa version issue de la loi travail de 2016. Et la rupture du contrat de travail de la salariée (adhésion à un CSP assimilable à un licenciement économique) ne pouvait donc qu’être considérée que comme dépourvue de cause réelle et sérieuse.

Moralité :  la loi travail de 2016 avait clairement entendu sécuriser les employeurs en limitant le pouvoir qui était alors celui des juges quant à l’appréciation de l’existence ou non de difficultés économiques. Mais force est de constater qu’en l’espèce, ce rigorisme comptable se retourne contre l’employeur ! Si les juges avaient encore pu se livrer à une appréciation in concreto fondée sur la technique du faisceau d’indices, gageons que la cause économique ayant fondé la rupture du contrat de travail aurait été reconnue comme existante.

L’arroseur arrosé en quelque sorte…

 

 

 

(1) Art. L.1233-3 du Code du travail dans la rédaction qui a été le sien du 27.06.08 au 01.12.16.

(2) Cass.soc. 01.02.11, n° 09-68.039 où les juges du droit constataient que la cour d’appel ne s’était pas contentée de relever une baisse du chiffre d’affaire, mais avait également établi que les déclarations mensuelles des ventes, les prestations de service auprès du centre des impôts pour le calcul de la TVA ainsi que les constats opérés par l’expert-comptable démontraient aussi « la réalité des difficultés économiques persistantes ».

(3) Art. L.1233-3 du Code du travail, dans sa rédaction actuelle.

(4) Cf. notamment Cass. soc. 26.02.92, n° 90-41.247.