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Licenciement : le non-respect d’une procédure conventionnelle peut-elle encore le priver de cause réelle et sérieuse ?

Publié le 13/04/2022

De nombreuses conventions collectives ou des dispositions statutaires applicables à des salariés de droit privé prévoient des garanties supérieures à la loi en cas de licenciement. Les conséquences du non-respect de ces dispositions sur la rupture du contrat de travail sont importantes à connaitre, la législation ayant évolué depuis les ordonnances Macron.

Un arrêt récent de la Cour de cassation nous donne l’occasion de faire le point sur les changements et les interrogations qui subsistent. Cass.soc.6.04.22, n°19-25.244, publié au Bulletin.

Rappel de l’évolution du cadre juridique 

Avant l’entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, l’article L. 1235-2 du Code du travail permettait au juge prud’homal de sanctionner un licenciement pour cause réelle et sérieuse « sans que la procédure requise ait été observée » par une indemnité qui ne pouvait être supérieure à 1 mois de salaire. C’est la sanction du licenciement dit irrégulier, alors applicable uniquement aux salariés ayant au moins 2 ans d’ancienneté et dans les entreprises d’au moins 11 salariés.

Les juges ont souvent été confrontés à la question de savoir si le non-respect d’une procédure conventionnelle rendait le licenciement irrégulier ou bien sans cause réelle et sérieuse. Cette épineuse question a donné lieu à une jurisprudence abondante de la Cour de cassation, qui au fil du temps a dégagé le principe suivant : il convient de distinguer selon que la procédure institue seulement une garantie de forme – auquel cas le licenciement est irrégulier ou une garantie de fond – auquel cas le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. 

Depuis le 1er janvier 2018, l’article L.1235-2 est applicable à l’ensemble des salariés quels que soient l’ancienneté et l’effectif de l’entreprise, ce qui est une avancée positive. En revanche, les irrégularités de procédure sont maintenant précisées par l’article et elles incluent le non-respect de « la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ».

L’arrêt de la Cour de cassation

Il ne s’agit pas ici de revenir sur l’ensemble de la procédure judiciaire, et ce pour une raison simple : l’article L.1235-2 dans sa version issue des ordonnances n’était pas applicable au litige, la procédure disciplinaire ayant été engagée en 2013. Un rappel des faits est toutefois utile pour comprendre la solution donnée par la Cour de cassation et envisager si une telle solution peut se maintenir malgré l’évolution du Code du travail.

Dans l’espèce, un salarié de la Société nationale SNCF est licencié pour faute en septembre 2013 après l’avis rendu par le conseil de discipline, instance consultée préalablement au licenciement en application des dispositions statutaires applicables à la SNCF. Considérant que la procédure disciplinaire n’avait pas respecté le droit au procès équitable, l’avis du conseil de discipline étant fondé sur un rapport composé de témoignages anonymes, le salarié a obtenu la nullité de son licenciement devant la Cour d’appel d’Angers en 2019 au motif de la violation d’une liberté fondamentale.

Saisie d’un pourvoi par la SNCF, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel et réaffirme une jurisprudence antérieure[1] distinguant les irrégularités de forme des irrégularités de fond : « L'irrégularité commise dans le déroulement de la procédure disciplinaire prévue par une disposition conventionnelle ou un règlement intérieur, est assimilée à la violation d'une garantie de fond et rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsqu'elle a privé le salarié de droits de sa défense ou lorsqu'elle est susceptible d'avoir exercé une influence sur la décision finale de licenciement par l'employeur ».

Cette jurisprudence peut-elle se maintenir ?

Tout d’abord, l’article L.1235-2 dans sa version issue des ordonnances ne vise que le non-respect des dispositions conventionnelles ou statutaires en lien avec une consultation préalable au licenciement.

Les autres règles procédurales plus favorables aux salariés pourront donc être assimilées à la violation d’une garantie de fond, à condition pour le salarié, nous dit la Cour de cassation, de prouver que leur non-respect l’a privé du droit de se défendre ou a pu exercer une influence sur la décision finale de l’employeur. En pratique cette preuve s’annonce difficile pour le salarié en dehors précisément de l’existence d’une commission consultative préalable au licenciement et on peut donc se demander si le maintien de cette jurisprudence d’avril 2022, qui pose de nouvelles conditions, est véritablement souhaitable !

Ensuite s’agissant d’un manquement en lien avec une consultation préalable au licenciement, le maintien de cette jurisprudence s’annonce difficile, mais pas impossible. Difficile, parce que l’objectif du Gouvernement était clairement d’assimiler ces garanties supplémentaires à de simples garanties de formes, mais pas impossible, dans la mesure où la rédaction actuelle de l’article ne ferme pas totalement la porte à une nouvelle distinction entre violation d’une garantie procédurale de forme et violation d’une garantie procédurale de fond aux conditions exposées précédemment.

Ces questions un peu techniques sont loin d’être uniquement théoriques. Les solutions à venir de la Cour de cassation sont à suivre avec attention, avec l’espoir que les normes négociées ne soient pas totalement privées d’effet utile, comme ça pourrait être le cas avec une sanction uniquement symbolique plafonnée à 1 mois de salaire…

 

 

[1] Cf. Cass. soc., 8.09.21, n° 19-15.039.

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