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Droit disciplinaire : l’ « employeur » n’est pas forcément celui qui le détient

Publié le 30/06/2021

Outre son pouvoir de direction, le pouvoir disciplinaire constitue une prérogative importante de l’employeur. C’est surtout une prérogative qui peut avoir de lourdes conséquences pour les salariés puisque, mise en œuvre à son « extrême », elle peut mener à la rupture du contrat de travail. C’est pourquoi l’exercice de ce droit est strictement encadré par la loi et les tribunaux. Ainsi, l’employeur qui envisage de sanctionner un salarié dispose-t-il de 2 mois à compter du jour où il a eu connaissance des faits fautifs pour engager les poursuites. Mais pour appliquer cette règle, encore faut-il savoir de quel employeur on parle.  Faute d’être défini dans le Code du travail, c’est la Cour de cassation qui répond à cette question. Cass.soc.23.06.21, n°20-13762.

Les faits

Travaillant en qualité d’enquêteur pour une société de marketing, un salarié est accusé d’avoir tenu des propos dénigrants envers la société et porté atteinte à son crédit devant des clients lors d’une réunion briefing organisée le 6 avril 2012 et animée par le responsable de la formation des enquêteurs. Le 17 avril suivant, le formateur transmet un rapport à la direction de la société. Rapport qui, bien entendu, consigne les faits survenus lors de cette réunion.

Après avoir pris connaissance de ces faits, la direction convoque le salarié à un entretien préalable à une sanction disciplinaire le 7 juin 2012, puis le licencie pour cause réelle et sérieuse.

Le salarié conteste son licenciement devant la juridiction prud’homale : pour lui, l’employeur n’était plus dans les délais pour agir.

Pour rappel, l’employeur qui veut engager des poursuites disciplinaires à l’encontre d’un salarié, dispose d’un délai de 2 mois pour le faire. Mais attention ! ce délai ne court pas à compter du jour où les faits ont été commis, mais à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance (Art L.1332-4 C.trav.), à moins que les faits aient donné lieu à des poursuites pénales.

Considérant que le formateur est son supérieur hiérarchique, le salarié estime que c’est au jour du briefing que « l’employeur » (au sens de l’article L.1332-4) a eu connaissance des faits fautifs, soit le 6 avril 2012. Aussi, les poursuites disciplinaires engagées par la direction le 7 juin 2012 (plus de 2 mois après) ne sont plus possibles car prescrites…

L’employeur considère au contraire que n’ayant été informé des faits fautifs qu’à travers le rapport remis par le formateur, le 17 avril, c’est cette date-là qui marque le point de départ du délai de prescription de 2 mois. Dit autrement, le 7 juin 2012, il était encore dans les temps pour sanctionner le salarié.

Ce raisonnement est validé par la cour d’appel qui déboute le salarié. Pour celle-ci, le formateur ne disposant d’aucun pouvoir disciplinaire à l’égard du salarié, il ne pouvait être assimilé à l’employeur. Sa connaissance des faits fautifs n’équivalait donc pas à la connaissance des faits par « l’employeur » et ne faisait pas courir le délai de 2 mois pour sanctionner.

Le salarié se pourvoit en cassation, la question étant de savoir si un supérieur hiérarchique ne disposant pas du pouvoir disciplinaire peut être assimilé à l’employeur pour l’application du droit disciplinaire dans l’entreprise.

Qu’entend-on par « employeur » au sens du droit disciplinaire ?

On l’a vu, selon l’article L.1332-4 du Code du travail, le délai de prescription court à compter du jour où l’employeur a eu connaissance des faits fautifs. Mais pour appliquer cet article, encore faut-il pouvoir déterminer qui est l’«employeur ».

Pendant longtemps, la Cour de cassation considérait que l’employeur était la « personne ayant pouvoir de sanctionner », c’est-à-dire le représentant légal de l’entreprise ou son délégataire (par exemple, le DRH).

Puis la Cour de cassation a peu à peu admis qu’il pouvait aussi s’agir du supérieur hiérarchique direct du salarié et ce, peu important son rang dans la hiérarchie ou le fait qu’il ne dispose pas expressément du pouvoir de sanctionner(1).

L’appréhension de la conception de l’employeur par le Code du travail est donc relativement souple. Aussi, dès lors que le supérieur hiérarchique connait les faits fautifs, le délai de prescription de 2 mois pour sanctionner commence à courir, même s’il tarde à informer l’employeur de ces faits.

Un formateur peut être considéré comme un supérieur hiérarchique, même sans pouvoir disciplinaire

Dans notre affaire, la solution adoptée par la Cour de cassation reste donc dans la lignée de la jurisprudence dégagée sur ce point. Elle casse l’arrêt de la cour d’appel : « l’employeur, au sens de ce texte [art L.1332-4] s’entend non seulement du titulaire du pouvoir disciplinaire mais également du supérieur hiérarchique du salarié, même non titulaire de ce pouvoir ».

Dès lors que le supérieur hiérarchique direct du salarié, même sans pouvoir disciplinaire, est informé des faits ayant fondé le licenciement, l'employeur doit à la même date être regardé comme informé. La cour d’appel aurait donc dû rechercher si le formateur en question avait ou non la qualité de supérieur hiérarchique.

Une solution identique retenue pour l’interdiction de sanctionner deux fois un salarié pour des faits connus à la même date

La décision commentée ci-dessus concerne la prescription des faits fautifs, or il se trouve que le même jour, la Cour de cassation a adopté une solution similaire(2) concernant la règle selon laquelle il est interdit de sanctionner deux fois un salarié pour des faits connus à la même date.

La jurisprudence admet depuis longtemps que « l’employeur qui, ayant connaissance de divers faits commis par le salarié, considérés par lui comme fautifs, choisit de n’en sanctionner que certains, ne peut plus ultérieurement prononcer une nouvelle mesure disciplinaire pour sanctionner les autres faits antérieurs à la première sanction »(3).

Dans cette affaire, la Cour de cassation a considéré qu’au jour où il notifiait au salarié un avertissement pour des absences injustifiées, l’employeur avait déjà connaissance d'autres faits fautifs commis depuis par le salarié. Dès lors qu’il ne les avait pas sanctionnés à ce moment-là, il se privait de la possibilité de le faire par la suite. On considère qu’il a « épuisé son pouvoir disciplinaire ».

Là encore, en réalité, le jour où il notifiait cet avertissement, l’employeur n’avait pas encore été lui-même informé des autres faits fautifs commis par le salarié, en revanche, l’infirmière coordinatrice, qui était la supérieure hiérarchique du salarié, en avait, elle, bien connaissance ce jour-là. Elle avait simplement tardé à en informer la direction… Pour la Cour de cassation, « la cour d’appel aurait dû déduire de l’information de cette dernière que la direction était informée à la même date ». 

Les clarifications apportées par ces arrêts sont les bienvenues. En étendant la notion d’« employeur » à d’autres acteurs que l’employeur titulaire du pouvoir disciplinaire, la Cour de cassation vient par ce biais indirectement encadrer, et en l’occurrence limiter, l'étendue de son pouvoir disciplinaire (au moins dans le temps…).

 

 

    

 

(1) Cass.soc.30.04.97, n°94-41320 ; Cass.soc.23.02.05, n°02-47272.

(2) Cass.soc.23.06.21, n°19-24020 : Très synthétiquement, dans cette affaire, l’employeur a décidé de sanctionner par un avertissement les absences injustifiées d’un salarié survenues moins de 2 mois plus tôt. Seulement entre ces absences et le jour où il a notifié la sanction au salarié, ce dernier a commis d’autres faits fautifs que l’employeur a par la suite décidé de sanctionner par un licenciement pour faute grave. Voilà donc 2 faits fautifs et 2 sanctions disciplinaires.

(3) Cass. soc., 12.10.99, n° 96-43.580 ; Cass. soc., 16.03.10, n° 08-43.057 ; Cass. soc., 22.03.11, n° 10-12.041; Cass. soc., 22.05.19, n° 17-28.100.

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