Retour

Discipline : un mutisme persistant envers sa hiérarchie peut constituer une faute

Publié le 26/04/2017

Il n’est pas rare de voir un salarié se faire reprocher un exercice un peu « débridé » de sa liberté d’expression, phénomène accentué par l’émergence de nouveaux modes et outils de communication professionnels (réseaux sociaux, smartphones etc.). Moins fréquents sont les cas où on lui reproche au contraire de ne pas s’exprimer suffisamment, voire pas du tout. C’est précisément le cas sur lequel a dû récemment se prononcer la Cour de cassation. Selon elle, le fait pour un salarié de refuser tout échange verbal avec sa hiérarchie rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et peut, à lui seul, constituer une faute grave. Cass.soc.22.03.17, n°15-27720.

 

  • L’affaire

Engagé au sein d’EDF en 1989, le salarié prépare le concours d’entrée à l’ENA de 2006 à 2008. Echouant à l’examen, il réintègre la société GRDF et se trouve muté d’office à un poste de juriste d’entreprise dès 2009, date à laquelle il est placé en arrêt de travail pendant un an. En conflit avec sa direction au sujet de son affectation, et estimant être victime de harcèlement moral, le salarié va, dès janvier 2011, cesser toute communication verbale avec sa hiérarchie. En octobre, après passage en commission paritaire siégeant en matière de discipline dans l’entreprise, il fait l’objet d’une mise à la retraite d’office pour faute grave.

Le salarié saisit alors la justice afin de faire reconnaître l’existence d’un harcèlement moral et de réclamer l’annulation de sa mise à la retraite d'office. Malheureusement, les juges du fond vont non seulement écarter la qualification de harcèlement, mais également estimer que la mise à la retraite d’office pour faute était justifiée. Le salarié se pourvoit en cassation.

 LE REFUS DU SALARIÉ DE TOUT ÉCHANGE VERBAL AVEC SA HIERARCHIE CONSTITUAIT-IL UNE FAUTE GRAVE?

Oui, répond la Cour de cassation qui, approuvant les juges du fond, considère que  « le refus du salarié de tout échange verbal avec sa hiérarchie était établi » et « qu’à lui seul ce grief rendait impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et constituait une faute grave ». Dès lors, sa mise à la retraite d’office était bel et bien justifiée.

  • Des faits de harcèlement moral écartés en l’espèce

Pour justifier son mutisme, le salarié allègue avoir été victime de harcèlement moral de la part de sa direction qui lui a imposé une mutation sur un nouveau poste. C'est, selon lui, ce qui l’a conduit à s’opposer aux provocations de sa hiérarchie en refusant toute communication verbale, et à dénoncer par mail l’incohérence des avis de son supérieur hiérarchique qui caractérisaient le harcèlement moral dont il avait fait l’objet. Or, à son sens, un salarié ne peut être sanctionné pour avoir dénoncé des faits de cette nature.

Approuvés par la Cour de cassation, les juges du fond vont au contraire estimer que le salarié n’a établi aucun fait permettant de présumer l’existence d’agissements répétés de harcèlement moral. Ils écartent cette qualification.

Restait à savoir si, dans un contexte conflictuel, mais en dehors de tout acte de harcèlement, le fait pour un salarié de cesser toute communication avec sa direction pouvait être considéré comme une faute grave.

  • Le refus de communiquer verbalement  avec sa hiérarchie peut constituer une faute grave

Qu’est-ce qu’une faute grave ?
En matière de faute professionnelle, on distingue :
- la faute sérieuse : invoquée pour certaines fautes professionnelles ou absences répétées. Le préavis et l'indemnité de licenciement sont dus.
- la faute grave : c’est une faute d’une particulière gravité qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Elle fait perdre le bénéfice des indemnités de préavis et de licenciement(1).
- la faute lourde : c'est une faute grave avec intention de nuire à l'employeur. Le licenciement intervient sans préavis ni indemnités de licenciement. 

 En l’espèce, la direction justifiait la mise à la retraite d’office pour faute grave dans les termes suivants : « refus de tout échange verbal avec votre hiérarchie, qui porte préjudice à la qualité du travail et aux relations entre les membres de l’équipe, en particulier vous refusez de dire bonjour le matin et ne répondez jamais verbalement à une question posée (…) ».

De son côté, le salarié ne contestait pas cet état de fait prétendant même avoir décidé de ne plus parler « puisqu’à aucun moment sa hiérarchie n’a voulu l’écouter ».
Il n’était en revanche pas d’accord avec la sanction prise à son encontre. A son sens, son silence, justifié par le harcèlement dont il était victime, ne constituait pas une faute grave.

-    en près de 25 ans, il n’avait (jusqu’ici) fait l’objet d’aucune sanction,

-    son comportement (silencieux) n’avait été dicté que par la mutation sur un poste pour lequel sa hiérarchie reconnaissait expressément qu’il ne disposait ni des compétences ni de l’expérience nécessaires,

-    enfin, l’employeur avait finalement toléré le comportement du salarié pendant 4 mois et demi ce qui laissait planer quelques doutes sur la nécessité, pour une faute grave, de rendre impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifiant la rupture immédiate du contrat de travail.

Pour les juges, il en est autrement. Le refus de tout échange verbal avec sa hiérarchie de la part d’un cadre déclaré apte médicalement et affecté à un emploi correspondant à ses compétences constituait à lui seul une faute grave justifiant la rupture immédiate du contrat de travail.

 

  • Un silence délibéré et persistant qui, à lui seul, suffit à caractériser une faute grave

"A lui seul" car paradoxalement, au-delà de son mutisme persistant, le second grief reproché par l’employeur au salarié était d’avoir abusé de sa liberté d’expression, lors d’un échange de mails. Il avait en effet utilisé certains termes jugés « inacceptables », tels que l’ « inconsistance flagrante » et la « faiblesse managériale » quant aux avis qu’il avait portés sur ses candidatures. Le salarié avait par ailleurs pris soin de mettre en copie de ces mails un certain nombre de collaborateurs de l’entreprise.

Pour rappel, le salarié jouit, sauf abus, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression à laquelle ne peuvent être apportées que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché(2).

Pour la Cour de cassation, les juges du fond n’ayant pas caractérisé un abus par le salarié de sa liberté d’expression, la mise à la retraite d’office ne pouvait pas se fonder sur cet argument. D’autant plus que le mail n’avait été diffusé que dans les limites de l’entreprise. Ces faits n’étaient donc pas fautifs.
Finalement, la Haute cour se contente du motif tiré du mutisme délibéré et persistant du salarié pour caractériser la faute grave et justifier la rupture du contrat de travail.

Pour résumer, si trop s'exprimer peut constituer un exercice abusif de sa liberté d'expression, ne pas le faire du tout peut nuire tout autant si ce n'est plus. Reste à trouver un juste équilibre qui demeure fragile.

 

(1) Art L.1234-5 et L.1234-9 C.trav.
(2) Art L.1121-1 et L.1132-1 C.trav.