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CSE : précisions sur la notion d’établissement distinct

Publié le 09/01/2019

Pour la première fois, la Cour de cassation s’est prononcée sur la mise en œuvre des règles issues des ordonnances Macron relatives à la détermination des établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques (CSE). Elle statue d’abord sur l’étendue des compétences du tribunal d’instance en la matière. Elle précise ensuite la notion d’autonomie de gestion, critère introduit par les ordonnances pour la fixation du périmètre de l’établissement distinct. Cass.soc. 19.12.18, n° 18-23.655.

  • Faits et procédure

A l’occasion de la mise en place du CSE au sein du groupe SNCF, des négociations sur le nombre et le périmètre des établissements distincts ont été engagées. Ces négociations s’étant soldées par un échec, la direction de la SNCF a fixé unilatéralement le périmètre des établissements distincts. C’est ainsi que 2 syndicats (CGT et Sud) ont saisi la Direccte afin de contester cette décision.

Dès lors que l’entreprise est composée d’au moins 2 établissements, des CSE doivent être mis en place au niveau de chacun de ces établissements (avec un CSE central mis en place au niveau de l’entreprise). Le nombre et le périmètre des établissements distincts doit faire l’objet d’une négociation entre l’employeur et les organisations syndicales représentatives(1).
A défaut d’accord collectif (ou à défaut d’accord avec le CSE en l’absence de DS dans l’entreprise(2)), l’employeur définit unilatéralement le nombre et le périmètre des établissements distincts. En cas de litige, le nombre et le périmètre de ces établissements sont fixés par la Direccte sous le contrôle du juge judiciaire (tribunal d’instance)(3).

L’autorité administrative a procédé à un découpage selon les mêmes modalités que celles retenues par l’employeur. Une nouvelle contestation de cette décision a été introduite devant le tribunal d’instance qui, à son tour, a fixé un nombre et des périmètres d’établissements distincts identiques à ceux résultant de la décision de la Direccte.

Dans ces conditions, les deux organisations syndicales se sont pourvues en cassation contre la décision du juge.

  • Les contours de la compétence du tribunal d’instance

Dans cette affaire, le juge d’instance avait refusé de se prononcer sur l’un des arguments soulevés par les syndicats. Ces derniers avançaient que la décision administrative avait été prise en violation des principes d’impartialité et du contradictoire. Or le tribunal a estimé n’être compétent que pour traiter des contestations portant sur le fond de la décision, et pas sur sa régularité formelle...

Sur ce point, la Cour de cassation donne tort aux juges du fond. Elle considère qu’il appartient au tribunal d’instance d’examiner en dernier ressort l’ensemble des contestations, qu’elles portent sur la légalité externe (sur la forme) ou sur la légalité interne (sur le fond) de la décision de la Direccte.

La position de la chambre sociale semble ici tout à fait logique. En effet, la loi donne une compétence exclusive au tribunal d’instance pour connaître des recours contre la décision de la Direccte : « à l’exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux »(4). Dans ce cas, aucun autre juge ne peut connaître de ces contestations sur la forme de la décision de l’autorité administrative.

Dans sa note explicative, la chambre sociale précise que cette expression « traduit l’intention du législateur d’unifier le contentieux sans réduire le droit d’accès au juge des employeurs et organisations syndicales concernées ». Ainsi, en l’espèce, il appartenait nécessairement au tribunal de répondre à la contestation sur la violation des principes d’impartialité et du contradictoire. En revanche, la Haute juridiction n’a pas censuré le jugement, dans la mesure où le juge a statué sur le fond du litige et fixé le nombre et le périmètre des établissements distincts, « ce qu’il aurait été amené à faire s’il avait accueilli la contestation sur la légalité externe »(5).

Dans un second temps, la chambre sociale prend soin de préciser l’office du juge judiciaire (juge d’instance) en cas de contestation de la décision administrative :

-       dans le cas où il juge la contestation non fondée, il lui reviendra de confirmer la décision. La cour de Cassation précise dans sa note explicative que le juge pourra « se contenter de rejeter cette contestation, sans avoir à statuer à nouveau sur le fond » ;

-       à l’inverse, si la demande est fondée, il devra alors statuer sur le fond « par une décision se substituant à celle de l’autorité administrative ».

Ainsi, dans les deux cas, l’affaire n’aura pas à être renvoyée devant la Direccte.

 

  • Une autonomie de gestion en lien avec les délégations de pouvoir des chefs d’entreprise

Lorsque l’employeur définit unilatéralement le nombre et le périmètre des établissements distincts, la loi prévoit qu’il doit tenir compte de « l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel »(6).

C’est l’apport majeur de cet arrêt du 19 décembre 2018. La Cour de cassation est venue préciser pour la première fois ce critère de l’autonomie de gestion introduit par les ordonnances Travail : « caractérise un établissement distinct l’établissement qui présente, notamment en raison de l’étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service ». Une définition pour le moins restrictive...

Ce faisant, la Cour de cassation s’inspire de la Jurisprudence du Conseil d’Etat (7) relative aux établissement distincts pour la mise en place des comités d’entreprise (CE). Ce dernier avait dégagé une définition reposant avant tout sur les pouvoirs consentis au responsable de l’établissement. Son autonomie de décision en matière de gestion du personnel et d’exécution du service devait permettre le fonctionnement normal des comités d’établissement.

Pour la CFDT, cette position de la Haute juridiction, qui se base essentiellement sur les délégations de pouvoir conférées aux responsables d’établissement, comporte deux inconvénients majeurs.

- D’une part, elle est totalement subjective. La détermination des établissements distincts pour la mise en place du CSE est alors à la main de l’employeur, qui pourra, ou non, délivrer une délégation de pouvoir au chef d’établissement en fonction de sa volonté d’y voir, ou pas, un CSE mis en place...

- D’autre part, cette définition réduit considérablement les niveaux de représentations.

Avant les ordonnances Macron et la fusion des instances représentatives du personnel, coexistaient plusieurs définitions de l’établissement distinct. Ainsi, les délégués du personnel pouvaient, eux, être mis en place dans tout établissement d’au moins 11 salariés « constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres susceptibles de générer des réclamations communes ou spécifiques et travaillant sous la direction d’un représentant du chef d’entreprise, peu important que celui-ci n’ait pas le pouvoir de se prononcer lui-même sur ces réclamations(8) ».
Cela permettait une représentation des salariés en proximité.
  

La définition posée par la Cour de cassation laisse malheureusement difficilement la place à une représentation en proximité par le CSE. Pourtant, ce dernier a bien repris les attributions des DP. C’est ce qu’ont tenté d’avancer les requérants à la Cour, qui a rejeté leur argument sur la nécessité d’une représentation de proximité, justifiée, notamment, par les attributions du CSE anciennement dévolues aux DP et aux CHSCT(9).

Cet arrêt confirme la nécessité de passer par la voie négociée pour la détermination des établissements distincts. Dans ce cas en effet, le choix des critères permettant de retenir, ou non, leur existence est laissé aux partenaires sociaux. Avec la mise en place négociée de représentants de proximité, ce sera le moyen d’œuvrer à une représentation au plus près des salariés.



(1) Art.L.2313-2 C.trav.

(2) Art.L.2313-3 C.trav.

(3) Art.L.2315-5 C.trav.

(4) Art.L.2313-5 C.trav.

(5) Cf. note explicative relative à l’arrêt n°1883 de la Chambre sociale du 19.12.18 (18-32.655).

(6) Art.L.2313-4 C.trav.

(7) CE 29.06.73, n°77982 ; CE 27.03.96, n°155791.

(8) Cass.soc. 13.07.04, n° 03-60.173

(9) Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.