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Grève : à quelles conditions est-elle licite?

Publié le 18/04/2018 (mis à jour le 23/05/2023)

En cette période de conflit social sur les retraites et où les grèves se multiplient, notamment pour des revendications salariales, il est apparu utile de faire le point sur les conditions auxquelles une grève est licite.

Quelles sont les conditions d’exercice du droit de grève ?

Il faut savoir que si le droit de grève est un droit constitutionnel(1) qui n’est en revanche ni défini, ni règlementé de manière globale. On y trouve bien quelques mentions au sein du Code du travail, ainsi que quelques textes législatifs spécifiques qui peuvent s’appliquer dans certains les secteurs. Faute de réglementation, c’est essentiellement la jurisprudence qui s’est attachée à préciser les conditions d’exercice du droit de grève et ses limites.

La Cour de cassation définit la grève comme « la cessation collective, totale et concertée du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles dont l’employeur doit avoir eu connaissance »(2).

Attention ! Si le droit de grève est également reconnu aux agents publics (sauf exceptions, s’agissant par exemple des magistrats, des fonctionnaires actifs de la police nationale, des gardiens de prison, etc.), il fait l’objet de règles spécifiques selon qu’il s’agisse de la fonction publique d’Etat, territoriale ou hospitalière.

En tout état de cause, secteur privé ou secteur public, pour être licite, une grève doit répondre à certaines conditions. Ainsi, la cessation d’activité doit être :

-          totale : elle suppose une cessation complète du travail. En revanche aucune durée minimum n’est requise. La grève peut donc durer 1 heure, 1 journée, 1 semaine, etc...

Par conséquent, est susceptible d’être jugé illicite :

- le fait de ralentir volontairement le rythme de travail ou d’exécuter son travail de manière volontairement défectueuse. On parle de « grève perlée » (voir plus loin) ;

- le fait d’exécuter de manière extrêmement consciencieuse les normes qui régissent son activité afin de la paralyser. On parle de « grève du zèle » ;

- le fait de limiter la grève à une obligation spécifique du contrat de travail (par exemple, ne pas respecter son obligation d’astreinte (3).

-          collective : ce qui suppose que la grève doit être suivie par au moins 2 salariés ou agents, sans pour autant qu’il soit nécessaire que tous les salariés participent au mouvement de grève. Ce mouvement ne peut donc être le fait d’un seul salarié, à moins que celui-ci soit l’unique salarié de l’entreprise ou encore qu’il réponde à un appel à la grève lancé au niveau national(4);

A noter qu’une grève comportant des arrêts de travail successifs des différents ateliers ou services d’une entreprise est licite à condition qu’ils n’entraînent pas une désorganisation de l’entreprise. On parle de « grève tournante » (voir plus loin).

-          issue d’une concertation des salariés : ces derniers doivent avoir la volonté commune de cesser le travail pour appuyer leurs revendications professionnelles ;

-          motivée par des revendications professionnelles et intéresser les salariés qui participent au mouvement. Il peut donc s’agir :

- de revendications portant sur les salaires, les conditions de travail, l’exercice du droit syndical, la défense de l’emploi, le système de retraite, etc ;

- d’une grève de solidarité interne en vue de soutenir un salarié de son entreprise. Il s’agit par exemple de soutenir un délégué syndical menacé de licenciement alors qu’il demandait des augmentations salariales dans le cadre des NAO(5). Ou encore d’une grève de solidarité externe (soutien de salariés appartenant à une autre entreprise). A condition, dans les 2 hypothèses,  que la mobilisation réponde à un intérêt collectif et professionnel de l’ensemble du personnel.

Sont en revanche exclus :

- les grèves aux revendications exclusivement politiques. Une grève peut néanmoins à la fois reposer sur des motifs professionnels et avoir un aspect politique. Lorsque c’est le cas, les juges doivent alors rechercher quelles sont les causes déterminantes du mouvement, la revendication professionnelle ne devant pas servir de simple prétexte(6) ;

- les mouvements d’autosatisfaction, c’est-à-dire qui revendiquent des conditions de travail autres que celles prévues par le contrat de travail. Par exemple, le fait de cesser de travailler plusieurs samedis consécutifs afin de ne plus travailler ce jour-là(7).

Comment doit être déclenchée la grève ? Tout dépend du secteur concerné. En voici les grandes lignes :

Dans le secteur privé, l’exercice du droit de grève n’est soumis à aucun préavis. Il faut en revanche que l’employeur ait eu connaissance des revendications au plus tard au moment de l’arrêt de travail. Il peut donc s’agir du jour même (grève surprise) (8). Sachant que la forme de cette information importe peu : l’employeur peut l’apprendre par d’autres personnes que les salariés grévistes ou encore par un syndicat, ou l’inspection du travail (9).

Dans le secteur public, les agents publics sont là encore soumis à des règles spécifiques. En principe, un préavis est obligatoire. Il l’est notamment pour les personnels de l’Etat, de la fonction publique hospitalière, des établissements publics, des autorités administratives indépendantes, et des collectives locales autres que les communes de moins de 10 000 habitants. Le préavis émane d'une organisation syndicale représentative au niveau national, dans la catégorie professionnelle ou dans l'entreprise, l'organisme ou le service intéressé, et doit préciser les motifs du recours à la grève.

Dans les entreprises privées chargées de la gestion d’un service public, la grève doit être précédée d’un préavis mentionnant le début et la durée de la grève envisagée (10).

Dans les entreprises du secteur public et dans les entreprises chargées d’une mission de service public de transport de personnes, des règles spécifiques s’appliquent (11) :
- dans le transport aérien de passagers : une obligation de déclaration. Les salariés dont l’absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols doivent informer leur employeur à l’avance (12). Cette déclaration individuelle peut figurer sur une liste collective(13) ; 
- dans le transport terrestre de voyageurs, la grève nécessite un préavis émanant d’un ou de plusieurs syndicats représentatifs et ne peut intervenir qu’après une négociation avec l’employeur.

 

Attention à l’abus du droit de grève !

Le respect de ces conditions rend l’utilisation normale du droit de grève et assure aux salariés un certain nombre de garanties, inexistantes dans le cas d’un mouvement illicite. En effet, l'employeur est en droit de procéder à une retenue sur salaire, mais il ne peut  pas discriminer, sanctionner ou licencier le salarié en raison de l’exercice normal du droit de grève(14).

Mais attention ! Ce n’est pas parce qu’une grève est licite au moment de son déclenchement qu’elle ne peut pas, ensuite, être qualifiée d’abusive par le juge en raison des conditions dans lesquelles elle s’exerce. Dans une telle situation, les salariés qui continueraient, malgré tout, à participer au mouvement jugé illicite s’exposeraient à des sanctions disciplinaires, voire à un licenciement.

Cette qualification d’« abus » par la jurisprudence n’est pas toujours évidente. Elle repose sur la distinction entre la désorganisation de la production (qui est la conséquence normale de la cessation collective de travail), et la désorganisation de l’entreprise même, qui constitue alors un abus du droit de grève. Il s’agit des situations dans lesquelles l’exercice de la grève met en péril l’existence même de l’entreprise. A l’inverse, de simples perturbations voire une grave désorganisation de la production, ne suffisent pas à caractériser l’abus(15).

Attention ! L’abus du droit de grève constitue une faute lourde.

Il existe d’ailleurs 2 situations dans lesquelles la protection liée à l’exercice du droit de grève ne joue pas complétement :

  • Lorsque le salarié ne s’inscrit pas dans le cadre d’un mouvement de grève licite répondant aux conditions posées par la jurisprudence et listées plus haut : il perd alors le bénéfice de la protection liée à l’exercice du droit de grève. Dans ce cas, son absence au poste de travail peut faire l’objet d’une sanction disciplinaire, voire d’un licenciement.
  • Lorsque, dans le cadre d’une grève licite, le salarié commet une faute lourde. Il peut s’agir :
    - d’une entrave à la liberté de travail, c’est-à-dire le fait d’empêcher le travail des autres personnes (collègues, clients, fournisseurs, etc), même sur une courte durée (16). La pratique du piquet de grève regroupant les grévistes devant l’entreprise est licite à condition de ne pas porter atteinte à la liberté du travail ou de conduire à la désorganisation de l’entreprise. Aussi, si le piquet de grève conduit à bloquer totalement les accès de l’entreprise, cela relèvera de la faute lourde. A l’inverse, s’il conduit à de simples retards, il ne s’agira pas d’un exercice anormal du droit de grève ;
    - de violences, telles que frapper un salarié refusant de faire la grève (17), ou encore le séquestrer (18) ;
    - de la rétention de biens de l’entreprise, telle que refuser de rendre les clés des véhicules de l’entreprise qu’ils servent ou non à bloquer les accès (19).

Focus sur la grève perlée

La grève perlée est définie de longue date par la jurisprudence comme « l’exécution du travail au ralenti ou dans des conditions volontairement défectueuses »(20).

Ce mouvement ne correspond pas à une grève licite, dont l’un des critères est la cessation totale du travail. Les salariés perdent donc le bénéfice de la protection attachée au statut de gréviste prévue par la loi et la jurisprudence. Ils peuvent être sanctionnés ou licenciés sans que l’employeur ait à établir qu’ils ont commis une faute lourde (21). L’employeur peut même considérer que l’exécution d’une grève perlée constitue une faute du salarié, dans la mesure où il ne respecte pas ses engagements contractuels.

Focus sur la grève tournante

La grève tournante doit être distinguée de la grève perlée. Elle comporte des arrêts de travail successifs des différents ateliers ou services d’une entreprise, un échelonnement de la cessation du travail ou un roulement concerté, dont l’objectif est de ralentir le travail et de désorganiser le ou les services. Il y a grève tournante lorsque les salariés commencent de façon différenciée le moment de la grève - selon l’heure de leur prise de service par exemple. Une telle grève est illicite dès lors qu’elle entraîne une désorganisation de l’entreprise (22).

 

 

 

 

(1)Alinéa 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

(2) Cass.soc.02.02.06, n°04-12336 ; Cass.soc.22.10.14, n°13-19858.

(3) Cass.soc.02.02.06, n°04-12336 ; Cass.soc.21.10.09, n°08-14490.

(4) Cass.soc.13.11.96, n°93-42247 ; Cass.soc.29.05.79, n°78-40553.

(5) Cass.soc.05.01.11, n°10-10685.

(6) Cass.soc.14.02.57, n°4.312 ; Cass.soc.29.05.79, n°78-40553.

(7) Cass.soc.17.12.03, n°01-46251.

(8) Cass.soc.19.11.96, n°94-42631 ; Cass.soc.22.10.14, n°13-19858.

(9) Cass.soc.28.02.07, n°06-40944.

(10) Art. L.2512-1 et L.2512-2 C.trav.

(11) Art. L.2512-1 et s. C.trav.

(12) Art. L.1114-3 C.trav.

(13) Cass.soc.08.12.16, n°15-16999.

(14) Art. L.1132-2 C.trav.

(15) Cass.soc.18.01.95, n°91-10476 ; Cass.soc.11.01.00, n°97-18215.

(16) Cass.soc.10.02.09, n°07-43939.

(17) Cass.soc.01.02.78, n°76-40273.

(18) Cass.soc.02.07.14, n°13-12562.

(19) Cass.soc.07.07.83, n°81-40191 ; Cass.soc.04.04.79, n°78-40328.

(20) Cass.soc.05.03.53, no 53-01.392.

(21) Cass.soc.16.05.89, n°85-43359.

(22) Cass.soc.04.10.79, n°78-40271 ; Cass.soc.14.01.60, n°58-4009.