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Détachement : la nouvelle directive enfin adoptée !

Publié le 05/09/2018

Fruit de longues et intenses discussions entre les institutions européennes, la nouvelle directive Détachement a enfin été adoptée et publiée en juillet dernier. Pour lutter contre le dumping social, le nouveau texte qui révise la directive de 1996 vient notamment limiter la durée du détachement et instaurer le principe d’une égalité salariale. Retour sur les nouvelles dispositions qui doivent désormais être transposées dans les Etats membres. Directive 2018/957 du Parlement européen et du Conseil du 28.06.18.

Suite aux nouvelles règles adoptées durant la période estivale relatives au détachement en droit européen et en droit interne, nous proposons ici de faire un point sur le volet européen. Le volet détachement en droit interne suivra prochainement. 

La nouvelle directive Détachement du 28 juin 2018 (1) est le résultat d’un long processus de deux ans, qui avait été lancé par la Commission européenne en mars 2016. Une telle révision était nécessaire, tant la directive de 1996 était inadaptée à une Union européenne élargie (passant de 15 Etats membres en 1996 à 28 Etats membres aujourd’hui) et les dérives dans l’application des règles nombreuses. Quelles sont désormais les nouvelles dispositions européennes applicables en matière de détachement ? 

  • La durée du détachement

Jusqu’à présent, la directive de 1996 prévoyait que le détachement s’exerçait sur « une période limitée », mais sans fixer de durée maximale. Pour avoir des précisions sur la durée maximale, il fallait se référer au règlement de coordination des systèmes de sécurité sociale 883/2004, qui énonce que le détachement ne peut excéder 24 mois (2). Le nouveau texte vient limiter la durée du détachement à 12 mois, avec une possibilité de dérogation pour la proroger de 6 mois supplémentaires sur notification motivée du prestataire de service à l’Etat d’accueil.

Au-delà de cette période  de 12 mois (ou 18 mois), la nouvelle directive prévoit que toutes les règles de l’Etat d’accueil s’appliquent au travailleur détaché à l’exception :
- des procédures, formalités et conditions régissant la conclusion et la fin de contrat de travail, y compris les clauses de non-concurrence ;
- des régimes complémentaires de retraite professionnels. 

Pour la CFDT, il était important de fixer une durée maximale au détachement, même si cette mesure paraît davantage symbolique quand on sait que la durée moyenne d’un détachement est d'environ 45 jours. Il est toutefois regrettable que la directive n’ait pas prévu qu’au-delà des 12 mois, ce ne soit pas l’ensemble de la législation de l’Etat d’accueil qui s’applique.

  •  L’élargissement du « noyau dur » de règles applicables aux travailleurs détachés

Pour rappel, le travailleur qui est détaché par son entreprise dans un autre Etat, demeure aujourd’hui lié, par son contrat de travail, à son employeur. De ce fait, sa relation de travail continue d’être régie par le droit de l’Etat d’envoi, à l’exception d’un « noyau dur » de règles impératives de l’Etat d’accueil qui bénéficient au travailleur détaché. Les matières de ce noyau dur visées par la directive de 1996 sont les suivantes :
- les périodes maximales de travail et périodes minimales de repos ;
- la durée minimale de congés payés ;
- les taux de salaire minimal, y compris les majorations pour heures supplémentaires ;
- les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment par des entreprises de travail intérimaire ;
- la sécurité, la santé, l’hygiène au travail ;
- les mesures protectrices applicables aux conditions de travail et d’emploi des femmes enceintes et des femmes venant d’accoucher, des enfants et des jeunes ;
- l’égalité de traitement entre hommes et femmes ainsi que d’autres dispositions en matière de non-discrimination.

Dans la perspective de limiter certaines pratiques de concurrence déloyale et de dumping social, le Parlement européen et le Conseil ont acté d’élargir ce noyau dur de règles en y intégrant trois nouvelles matières :

- la rémunération : désormais, la directive ne vise plus le salaire minimum légal ou conventionnel de l’Etat d’accueil, mais la rémunération. Par conséquent, l’ensemble des éléments qui composent la rémunération (y compris les primes) s’appliqueront au travailleur détaché (voir ci-dessous pour davantage de précisions);

- les conditions d’hébergement des travailleurs détachés ;

- les allocations ou le remboursement des dépenses en vue de couvrir les dépenses de voyage, de logement et de nourriture des travailleurs détachés lorsqu’ils sont éloignés de leur lieu de travail habituel (par exemple, lorsque le salarié détaché est envoyé sur un autre chantier dans l’Etat d’accueil). Le remboursement de ces dépenses relève du droit de l’Etat d’accueil. 

  • Le principe d’une même rémunération pour un même travail au même endroit

Désormais, le travailleur détaché bénéficiera de l’ensemble des éléments de rémunération (y compris les primes et indemnités) qui résultent de dispositions légales et conventionnelles. D’ailleurs pour ces dernières, la CFDT et la CES ont été entendues, puisque la nouvelle directive permet une prise en compte plus importante de conventions collectives applicables aux travailleurs détachés, notamment pour ne pas léser le système de relations collectives de certains Etats qui ne connaissent pas le mécanisme d’extension des accords. En effet, quel que soit le secteur d’activité (et non plus seulement le secteur de la construction), sont reconnues applicables en plus des conventions collectives d’application générale (via le mécanisme d’extension) celles qui « ont un effet général sur toutes les entreprises similaires appartenant au secteur ou à la profession concernés et relevant du champ d’application territorial ».

La CFDT regrette toutefois que l'une des propositions de la CES qu’elle a appuyée n’ait pas été entendue : la reconnaissance de la convention collective d’entreprise parmi les sources des éléments de rémunération auxquelles le salarié détaché peut prétendre.

Sur ce point, il faut savoir que la France prend déjà en compte, depuis la loi Macron de 2015 (3), l’arrêt rendu par la Cour de justice le 15 février 2015 (4) pour identifier avec précision les éléments de la rémunération qui entrent dans le calcul du salaire minimum (par exemple l’indemnité journalière fixe, l’indemnité de trajet et la prime de vacances).

A noter que s’agissant des dépenses de logement, de nourriture et de voyage encourues du fait du détachement lui-même (par exemple le cas où le travailleur détaché est envoyé de Varsovie à Paris), la nouvelle directive précise que celles-ci ne peuvent pas être considérées comme faisant partie de la rémunération, mais doivent être remboursées par l’employeur selon le droit de l’Etat d’origine. Cette précision permettra de lutter contre les pratiques frauduleuses de certains employeurs qui déduisent ces sommes des salaires des travailleurs détachés.

  •  La garantie de l’égalité de traitement entre intérimaires détachés et intérimaires locaux

Désormais, la directive relative au travail intérimaire de 2008 (5) aura la primauté. En d’autres termes, les Etats membres devront garantir, sur le fondement de cette directive (6), une égalité de traitement entre les travailleurs intérimaires détachés et les travailleurs intérimaires locaux.

Il est important de souligner qu’en France, l’ensemble des dispositions relatives au travail temporaire s’appliquent déjà en totalité aux travailleurs détachés. A titre de précision, la loi Travail de 2016 est venue généraliser l’égalité de traitement entre travailleurs intérimaires locaux et travailleurs intérimaires détachés en France (car elle n’était auparavant prévue que dans la partie réglementaire du Code du travail).

  • Des règles spécifiques au secteur des transports qui attendront…

Un point fortement regrettable : l’exclusion du secteur des transports routiers du champ d’application de la nouvelle directive. Ce secteur demeure régi par les règles de la directive de 1996 en attendant l’adoption d’une règlementation spécifique. Mais pour l’heure, les discussions peinent à avancer…

  • Entrée en application des nouvelles règles 

Les nouvelles dispositions sont entrées en vigueur depuis le 30 juillet 2018. Mais les Etats disposent d’un délai de 2 ans pour opérer la transposition du texte dans leur droit interne, c’est-à-dire au plus tard le 30 juillet 2020.

A noter que la France a déjà pris les devants. La loi Avenir Professionnel, adoptée au mois d’août dernier, prévoit d’habiliter le gouvernement français à procéder à la transposition de la directive par ordonnance dans les 6 mois suivant la promulgation de la loi.

La CFDT se félicite de l’adoption du nouveau texte. Ces nouvelles règles permettront ainsi de garantir une égalité de rémunération et de conditions de travail entre travailleurs détachés et travailleurs locaux. La CFDT restera toutefois vigilante et exigeante, que ce soit sur la transposition de la directive en droit interne ou sur les discussions en cours concernant le secteur des transports.



(1) Directive 2018/957 du Parlement européen et du Conseil du 28.06.18 modifiant la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 09.07.18).

(2) Art. 12§1 du Règlement 883/2004 du 29.04.04 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.

(3) Loi n°2015-990 du 06.08.15 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances.

(4) CJUE, 12.02.15, Sähköalojen ammattiliitto ry, aff. C-396/13

(5) Directive 2008/104/CE du 19.11.08 relative au travail intérimaire.

(6) Art. 5 de la Directive 2008/104/CE du 19.11.08 relative au travail intérimaire.

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