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Détachement : un cadre français encore renforcé, mais aussi aménagé

Publié le 12/09/2018

La loi Avenir professionnel ne comporte pas moins de 15 articles relatifs au détachement et au travail illégal en France. D’un côté, des dispositions visent, une fois encore, à lutter efficacement contre les fraudes au détachement et le travail illégal. D’un autre côté, et pour la première fois, certaines dispositions permettent de faciliter certains détachements pour lesquels, selon le législateur, le risque de fraude est moindre. Faisons le point sur ces nouvelles règles, qui n'entreront en vigueur, pour certaines, qu’après parution de textes réglementaires. Loi Avenir professionnel du 05.09.18, articles 89 à 103 (1)

Comme vous avez pu le lire la semaine dernière, la loi Avenir professionnel (2) a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnances  toutes les mesures permettant de transposer les dispositions de la récente directive européenne sur le détachement. Nous allons ici nous attacher au volet « droit interne ».

  • Allégement/suppression de démarches administratives

- En cas de détachement pour certaines prestations de courtes durées ou dans le cadre d’évènements ponctuels

Les entreprises intervenant pour des prestations et des opérations de courte durée, ou dans le cadre d’évènements ponctuels, pourront se voir dispensées des démarches administratives suivantes :

- la déclaration de détachement,

- la désignation du représentant en France.

A noter que cet allégement ne pourra pas s’appliquer aux entreprises de travail temporaire ni aux agences de mannequins.

Un arrêté doit encore fixer la liste des activités concernées (3) et la durée maximale d’activité en France sur une période de référence pour chaque activité identifiée.

Par ailleurs, un décret pourra adapter l’obligation de présenter à l’inspection du travail les documents traduits en français en cas de contrôle (par ex : la nature des documents et les modalités de conservation sur le territoire national). 

 La CFDT avait fait savoir au Gouvernement que ces dispenses ne devaient concerner que certaines prestations et seulement des détachements de courte durée, ce qui a été repris dans la loi. Il faut toutefois rester vigilants quant à la période de référence retenue pour la durée maximale des prestations et à l’élaboration de la liste d’activités concernées.

- En cas de détachement pour compte propre

Le détachement pour son compte propre consiste, pour une entreprise étrangère, à détacher un salarié en France sans qu’il n’existe de contrat avec un client en France (c’est une auto-prestation). Par exemple : un journaliste allemand qui est détaché en France pour couvrir un évènement sportif. C’est le 4è cas supplémentaire de détachement prévu par le droit français. La France est actuellement le seul pays à prévoir ce cas supplémentaire, et donc à demander une déclaration préalable de détachement.

Les obligations de déclaration préalable de détachement et de désignation d’un représentant en France sont dorénavant supprimées pour les prestations de service exercées dans le cadre du détachement pour son compte propre. L’idée est clairement de rendre plus attractif ce type de détachement purement français.

En outre, en cas d’accident du travail d’un travailleur détaché dans le cadre d’un détachement pour compte propre, la déclaration à l’inspection du travail relevant du lieu où s’est produit l’accident devra désormais se faire uniquement par l’employeur étranger. Cela fait suite à la suppression de l’obligation de désigner un représentant en France pour ce type de détachement.  

Pour la CFDT, cette suppression pure et simple de la déclaration préalable de détachement aurait pu être conditionnée à une durée du détachement très courte. En outre, la suppression de l'obligation de désigner un représentant en France est regrettable, car ce dernier a le mérite de se trouver sur le territoire français, et donc de faciliter les démarches.

Suppression du « droit de timbre » (4). Créée par la loi Travail de 2016,  la contribution due par le prestataire étranger (ou à défaut par le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre) lorsqu’il souhaite détacher un travailleur en France est désormais supprimée. Cette contribution était clairement non conforme avec le droit de l’UE (5).

- En cas de détachements récurrents

Désormais, et à la demande de l’employeur étranger (ou d’un organisme mandaté), la Direccte pourra ajuster les exigences administratives :

- la déclaration préalable,

- la désignation d’un représentant en France,

- la mise à disposition et la traduction des documents à présenter à l’inspection du travail en cas de contrôle.

Cet aménagement ne peut durer plus d’1 an et peut être renouvelé sur demande. Cela ne pourra se faire que si l’employeur garantit au travail détaché le respect des règles composant le « noyau dur » (6). A noter que cela n’empêchera pas de possibles contrôles et l’employeur devra toujours être en capacité de prouver qu’il respecte les règles du détachement. A défaut, les aménagements pourront prendre fin ! La nature des aménagements sera déterminée par décret.

Pour la CFDT, il faut rester très vigilants ! Rien n’empêche en effet que ces aménagements soient renouvelables à l’infini... En cas de manquement, la suppression des aménagements devrait être automatique, et non facultative.

  • Renforcement des moyens de lutte contre les fraudes au détachement et contre le travail illégal

La définition du salarié détaché est précisée (7). Il est désormais expressément indiqué à l’article 1261-3 du Code du travail que le travailleur détaché doit travailler habituellement pour le compte de l’employeur « hors du territoire national ». Cette précision est en toute somme logique et s’inscrit dans l’esprit même du détachement. Cet ajout a en effet pour but d’éviter un contournement des règles du détachement. Par exemple, empêcher que des salariés détachés via une entreprise de travail temporaire soient perpétuellement détachés en France et ne travaillent jamais dans leur pays d’origine. - Augmentation des amendes administratives

En cas de fraudes aux règles du détachement (par le prestataire étranger, le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre), le plafond des amendes administratives est rehaussé de 2 000 à 4 000 € par travailleur détaché et de 4 000 à 8 000 € en cas de réitération du manquement dans un délai de 2 ans, et non plus d'1 an.

Pour la CFDT, pourquoi ne pas rehausser le plafond dans toutes les situations où une amende administrative est envisagée (8) ?

Une nouvelle obligation de vérification pour le donneur d’ordre et le maître d’ouvrage

Le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre devront s’assurer désormais, lors de la conclusion du contrat de prestation de service, que l’employeur étranger a bien payé ses éventuelles amendes administratives (9).

- Création d’une nouvelle sanction

Une prestation de service pourrait être interdite pour une durée de 2 mois renouvelables si, au moment de la réception de la déclaration préalable, l’agent de contrôle constate le non-paiement des amendes administratives (10) par le prestataire étranger et que celui-ci ne s’en acquitte pas malgré la notification par décision motivée du Direccte.

Pour la CFDT, cette nouvelle sanction devrait sans nul doute encourager les employeurs étrangers à payer leurs amendes s’ils veulent continuer à détacher des travailleurs en France. On peut toutefois s’interroger sur le nombre possible de renouvellements de cette suspension du détachement, une seule ou plusieurs fois jusqu’à paiement de l’amende... Cette sanction existe déjà pour d’autres manquements graves, mais la suspension, dans ce cas, ne peut durer qu’1 mois maximum et a lieu après le début du détachement (par ex : en cas de non déclaration de détachement ou du non-respect de la durée du travail et du paiement des salaires).

- Suppression du caractère suspensif des recours contre la notification et l’action en recouvrement des amendes administratives (11). Cette mesure permettra d’appliquer de manière effective les amendes administratives, même s’il y a un recours effectué contre la sanction.

- En matière de lutte contre le travail illégal, de nouveaux cas d’arrêt d’activité pourront être prononcés par le préfet lorsque l’activité est exercée dans tout autre lieu que le siège ou l’établissement. Cette sanction n'était jusqu’à présent prévue que pour les chantiers du bâtiment et des travaux publics. Désormais, peu importe l’origine et la nature de l’activité de l’entreprise. Un décret devra encadrer cette mesure (par ex : en cas de mise à disposition de travailleurs détachés intérimaires dans les exploitations agricoles en France).

- Création d’un nouveau cas d’infraction de travail dissimulé par  dissimulation d’activité en cas d’activité habituelle, stable et continue en France ou lorsque l’employeur exerce dans son pays d’origine des activités relevant uniquement de la gestion interne ou administrative.  On parle de « fraude à l’établissement ». Cette mesure permettra de lutter contre les entreprises qui bénéficient abusivement des règles du détachement. Elle renforce également la sécurité juridique de la sanction pénale des fraudes au détachement. 

- Diffusion obligatoire d'une « liste noire » des entreprises condamnées  pour travail dissimulé en bande organisée. Il existe déjà une faculté, pour le juge, de prononcer une peine complémentaire prévoyant l’inscription sur une liste noire pour les entreprises condamnées à une peine d’amende pour travail illégal. Cette peine complémentaire sera désormais obligatoire en cas de circonstances aggravantes, plus précisément en cas de travail dissimulé en bande organisée. Toutefois, pour respecter le principe d’individualisation des peines, le juge pourra y renoncer par décision spécialement motivée ou décider de réduire la durée d’affichage. La durée d’affichage ou la diffusion ne pourront excéder 1 an (et non plus 2 ans comme aujourd’hui). Cette peine complémentaire concernera aussi bien les personnes physiques que les personnes morales. Un décret devra fixer les modalités de cette nouvelle mesure après avis de la Cnil.

  •  Les pouvoirs de l’inspection du travail modernisés et élargis

Dans le cadre de la recherche et de la constatation des infractions de travail illégal, la loi élargit l’accès aux documents en précisant qu’aux cours des visites, les agents de contrôle (définis par voie réglementaire) peuvent obtenir communication de tout document comptable ou professionnel ou de tout autre élément d’information et en prendre copie immédiate, par tout moyen et sur tout support. La communication des données informatisées et leur restitution seront également facilitées.

La loi prévoit également (et surtout) la création d’un droit de communication général à l’inspection du travail (documents, renseignements ou éléments d’information utiles à cette mission) sans que puisse leur être opposé le secret professionnel, y compris vis-à-vis de tiers non mis en cause tels que les administrations, les organismes de protection sociale, les fournisseurs ou les clients de l’employeur.

Pour la CFDT, ces mesures renforcent les pouvoirs d’enquête de l’inspection du travail. Il ne faut pas oublier que l’inspection du travail a également besoin davantage de moyens (humains et financiers) pour lutter plus efficacement contre le travail illégal.

D’autres mesures sont également prévues concernant plus spécifiquement le détachement de travailleurs à Saint-Pierre et Miquelon  et les chantiers forestiers et sylvicoles. Dans ce dernier cas, une nouvelle amende administrative est créée pour absence de déclaration d’un chantier forestier ou sylvicole. Ce qui permettra sans nul doute de sanctionner plus rapidement et de contourner un potentiel risque de classement sans suite de l’affaire. Il est toutefois regrettable de supprimer la sanction pénale existante. Les deux sanctions devraient coexister, en laissant le choix à l’agent de contrôle de se diriger vers la voie pénale ou la voie administrative. 



(1) Loi n°2018-771 du 05.09.18 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
(2) Art.93.
(3) Sans doute des activités artistiques ou sportives, ou encore la participation à des foires, des colloques.
(4) Art. 92.
(5) Le décret rendant effective cette suppression est déjà parue : Décret n° 2018-82 du 9 février 2018 portant abrogation des dispositions du Code du travail relatives à la contribution destinée à compenser les coûts de mise en place du système dématérialisé de déclaration et de contrôle des détachements de travailleurs.
(6) Voir les matières concernées à l’art. L.1262-4 C.trav.
(7) Art. 94.
(8) Ne sont concernées que les amendes visées aux articles L.1264-3 et L.8115-3.
(9) Ne sont concernées que les amendes visées aux articles. L. 1263-6, L.1264-1, L. 1264-2 et L. 8115-1.
(10) Ne sont concernées que les amendes  visées aux articles. L. 1263-6, L.1264-1, L. 1264-2 et  L. 8115-1.
(11) Ne sont concernées que les amendes visées aux articles L. 1263-6, L.1262-4, L. 1264-3 et L. 8115-7.