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Mixité proportionnelle : recul final des ordonnances sur la sanction

Publié le 14/03/2018

L’enjeu et l’importance de la mixité proportionnelle ne se discutent pas pour la CFDT. Cette règle de composition des listes aux élections professionnelles assure l’accès, pour les salariés des deux sexes, au mandat d’élu. Elle garantit une instance de représentation du personnel à l’image des salarié.e.s qui composent l’entreprise.  En revanche, ce qui se discute, c’est la sanction qui s’applique en cas de non-respect de cette règle. Plus précisément les conséquences de cette sanction en terme de droit à la représentation pour les salariés. Une alerte identifiée et portée par la CFDT lors des concertations autour des ordonnances. Alertes dans un premier temps entendues et intégrées, pour être finalement sorties par la commission mixte paritaire. Reste aujourd’hui le recours au juge pour tenter de modifier un cadre juridique qui compromet dangereusement le droit à la participation des travailleurs.

 

  • Un principe de mixité proportionnelle, préféré à la parité et porté par la CFDT

Inséré depuis 2015 dans le Code du travail, par la loi Rebsamen (1) , l’article L2324-22-1  impose le respect de la mixité proportionnelle dans la composition des listes aux élections professionnelles (DP, CE et demain CSE)

 La règle est ainsi formulée dans le Code :« Pour chaque collège électoral, les listes mentionnées à l'article L. 2324-22 qui comportent plusieurs candidats sont composées d'un nombre de femmes et d'hommes correspondant à la part de femmes et d'hommes inscrits sur la liste électorale. Les listes sont composées alternativement d'un candidat de chaque sexe jusqu'à épuisement des candidats d'un des sexes.(…) Le présent article s'applique à la liste des membres titulaires du comité d'entreprise et à la liste de ses membres suppléants ».

 Des dispositions entrées en vigueur le 1er janvier 2017 rendues nécessaires par la très faible proportion de femmes qui, malgré les diverses lois et incitations en la matière, étaient candidates aux élections professionnelles dans l’entreprise.

Selon  une étude d'impact, la proportion de femmes candidates aux élections professionnelles était, entre 2008 et 2012, d’environ 32%, tandis que celle d’élues oscillait entre 36 et 39% .

Le principe de la mixité proportionnelle des listes électorales a été porté très fermement par la CFDT lors des débats parlementaires entourant la loi Rebsamen.

Largement préférée à la parité, inadaptée aux élections professionnelles en raison de la composition différente des entreprises, liée à la concentration de femmes et d’hommes dans certains secteurs, la mixité proportionnelle n’est pas seulement un objectif. Elle est une règle de droit positif qui ne peut être détournée par des artifices qui la vident de son effet utile.

  •  D’une obligation de moyen à une obligation de résultat

Grâce à cet impératif, on est donc passé d’une obligation de moyens d’avoir à veiller à une représentation équilibrée femmes/hommes (sans parvenir à avoir d’effet suffisant sur les pratiques) à une obligation de résultat, non pas quant à la composition des instances elles-mêmes, mais quant à la composition des listes électorales.

Une obligation qui a été très critiquée, et dans son principe et dans ses conséquences par certains syndicats qui ont refusé de réinterroger leurs pratiques (ce qui a pu donner lieu à de nombreuses tentatives de contournement !)

Sur le principe, le Conseil constitutionnel l’a déclaré conforme à la Constitution (2) dans une décision très récente : «Le législateur a entendu assurer une représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les institutions représentatives du personnel afin de mettre en œuvre l’objectif institué au second alinéa de l’article 1er de la Constitution.À cette fin, il était loisible au législateur de prévoir un mécanisme de représentation proportionnelle des femmes et des hommes au sein du comité d’entreprise. »

Sur la sanction de cette règle, le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé, mais pour la CFDT, elle soulève pourtant un nombre important de difficultés.

  • La sévérité de la sanction et les difficultés pour les salariés

En cas de non-respect de la mixité proportionnelle par la liste, l’élection du/des élus « du mauvais genre » est annulée (3).

Une sanction nécessaire qui assure l'effectivité de l’obligation de mixité. En effet, si le non-respect par une liste de l’obligation de mixité dans la composition de sa liste se soldait pas une simple admonestation, ou par la possibilité de remplacer le candidat mal élu, par une candidate, a posteriori, cela pourrait donner lieu à des tentatives systématique de contournement préalable, avant de finalement se plier à la règle.

 L’organisation qui présente une liste non conforme au principe de mixité proportionnelle se voit donc lourdement sanctionnée puisque son candidat n’est finalement pas élu. Le siège est perdu.

Une sanction qui certes touche l'organisation, mais qui impacte aussi (peut-être même plus lourdement) les salariés puisqu’aucun mécanisme de remplacement n’est prévu par le législateur.

La loi écarte l’application, dans ce cas précis, du mécanisme des élections partielles. Mécanisme qui s’enclenche pourtant automatiquement dans les hypothèses où un nombre significatif d’élus partent ou démissionnent en cours de mandat.

L’article L. 2314-10 a sur ce point prévoit que :« Des élections partielles sont organisées à l'initiative de l'employeur si un collège électoral n'est plus représenté ou si le nombre des membres titulaires de la délégation du personnel du comité social et économique est réduit de moitié ou plus (....) sauf si ces événements  (...) sont la conséquence de l'annulation de l'élection de membres du comité social et économique prononcée par le juge en application des troisième et avant-dernier alinéas de l'article L. 2314-32 » ;

 Le fait que la loi ne prévoit pas l’obligation d’organiser des élections partielles, dans le cas précis où la disparition des postes d'élus découle du non respect de la règle de la mixité, implique que le nombre de représentants du personnel reste diminué pour toute la durée du mandat, sans remplacement prévu! Ce sont donc les salariés qui sont pénalisés dans leurs droits par l’erreur de l’organisation, qui ne leur est nullement imputable.

Pourtant le principe de participation ne garantit pas des droits aux représentants du personnel, mais en confère aux salariés! Ce sont les salariés qui, par l’intermédiaire de leurs représentants, bénéficient de ce principe de participation et de la liberté syndicale.

Or, l’application de la sanction, sans organisation d’élections partielles, aboutit à la suppression d’un ou plusieurs, voire de la totalité des mandats d’élus. Ce qui prive de portée et d’effet le vote des salariés.

Il est donc directement porté atteinte au droit des salariés à être représentés, et de participer à la détermination collective de leurs conditions de travail et à la gestion des entreprises, ce qu contrevient aux  articles 6 et 8 du Préambule du 27 octobre 1946.

De plus, le non-respect de la règle de mixité proportionnelle est sanctionné – au détriment des salariés – plus sévèrement que toute autre irrégularité. Ce qui porte atteinte au principe d’égalité, sans motif légitime.

  •  La voie des ordonnances pour adapter la sanction et ses conséquences

Une conséquence aussi injustifiable que dangereuse (et à notre sens inconstitutionnelle et inconventionnelle) avait été pointée, très tôt, par la CFDT. Lors des débats entourant les ordonnances, l'organisation avait rappelé ce point et demandé la rectification de la loi.

Une alerte dans un premier temps entendue, puisque les ordonnances initales avaient modifié les dispositions sur les élections partielles, imposant à l’employeur d’en organiser, quand bien même les élus verraient leur élection annulée pour cas de non-respect de la mixité proportionnelle.

Le Sénat est finalement venu détricoter ce qui avait été "rapiécé" par les députés.  Par un amendement de la commission des affaires sociales du Sénat, cette modification a été retirée, et, dans le texte finalement adopté par le Parlement, la sanction de la violation de la règle de mixité proportionnelle redevient l’invalidation des élus du sexe surnuméraire, sans remplacement ni élection partielle pour toute la durée du mandat restant à courir.

  • Le terrain contentieux pour faire évoluer la loi

A côté du terrain politique, la CFDT n'a pas déserté le terrain contentieux, jusque devant le juge constitutionnel. Elle a déjà soulevé des QPC sur ce point, à l’occasion de litiges devant les tribunaux de première instance.

La CFDT compte également sur l’examen a priori du projet de loi de ratification des ordonnances par le Conseil constitutionnel (dans le cadre de son contrôle avant la promulgation de la loi). Des sages qui,espérons-le, entendrons les arguments de la CFDT et viendront reconnaître l’inconstitutionnalité de la règle. Et protéger le droit à la représentation des salariés.  

Si le juge constitutionnel venait à valider la sanction, la porte de la censure constitutionnelle par voie de QPC serait dénitivement refermée. Resterait la voie de l'inconventionnalité (au regard des normes européennes et internationales) que notre organisation pourra toujours invoquer devant les juridictions internes.

(1) Article 7 de la loi n°2015-994 du 17.08.15 relative au dialogue social et à l’emploi.

(2) Décision n° 2017-686 QPC du 19.01.18. 
(3) Article L.2314-32 C.trav.