Retour

Accords collectifs : quelles conséquences en cas d’annulation ?

Publié le 10/02/2021

Lorsque ses dispositions sont contraires à la loi, il peut être tentant de demander l’annulation de l’accord ou de certaines clauses. Néanmoins, l’annulation des accords collectifs pose de nombreux problèmes pratiques.

Les ordonnances de 2017 ont cependant permis au juge d’atténuer les conséquences de sa décision d’annulation de l’accord. Récemment, dans un arrêt publié et accompagné d'une notice explicative, la Cour de cassation a livré sa première interprétation des nouvelles dispositions, sous forme de mode d’emploi en trois questions clefs. Cass. soc. 13.01.21, n°19-20736.

En cas d’annulation des accords collectifs, de nombreux problèmes pratiques peuvent surgir du fait des effets rétroactifs d’une annulation (par opposition à une résiliation, qui ne vaut que pour l’avenir). Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple récent, des salariés ayant contesté la validité d’une convention de forfait –et ayant obtenu la condamnation de l’employeur au paiement des heures supplémentaires résultant de l’annulation de la convention - se sont vu réclamer des jours RTT, contreparties du forfait, selon la Cour de cassation (1)…

Dans la veine de la jurisprudence antérieure, la réforme de 2017 a consacré deux pouvoirs du juge pour remédier aux difficultés pratiques d’une annulation rétroactive. L’article L.2262-15 du Code du travail prévoit que le juge peut :

  1. décider que l’annulation de l’accord ne produira d’effet que pour l’avenir,
  2. choisir de moduler les effets de sa décision d’annulation dans le temps.

Au travers de trois questions, la Haute juridiction livre les principales clefs de lecture de ce texte.

Quels accords sont concernés par la possibilité d’une non-rétroactivité de l’annulation ?

La première question qui se posait à la Cour de cassation était celle de savoir si les nouvelles dispositions prévoyant ces pouvoirs du juge pouvaient s’appliquer aux accords signés antérieurement à la réforme.

La réponse est ici claire et nette : c’est oui !

D’abord parce que la loi est d’application immédiate, ensuite parce que la Cour de cassation s’était déjà octroyée ce pouvoir avant même sa consécration législative (2).

Ainsi, peu importe quel accord est porté devant le juge, qu’il soit antédiluvien ou des plus récents… Une convention collective datant de 1966 sera traitée de la même manière qu’un accord de performance collective !

 

Dans quels cas, le juge peut-il moduler les effets de l’annulation ou ne la prononcer que pour l’avenir?

L’arrêt de la Cour de cassation reprend ici la lettre de l’article L.2262-15 du Code du travail. Le juge peut faire usage de ces pouvoirs au regard de deux considérations :

La première tient aux « conséquences de la rétroactivité de l’annulation pour les intérêts publics ou privés en présence » ; la seconde est relative aux « inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l’annulation ». Autrement dit, le juge doit prendre sa décision en mettant en balance deux considérations :

  • les avantages d’une non-rétroactivité ou d’une modulation de effets de l’annulation, en termes de simplicité de l’application de la décision, d’une part ;
  • l’atteinte portée au droit du justiciable de se prévaloir de l’illégalité des dispositions de l’accord collectif, d’autre part.

Pour la Haute juridiction, il revient au juge « d’apprécier, en rapprochant ces éléments, s’ils peuvent justifier qu’il soit dérogé, à titre exceptionnel, au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses ».

Le principe demeure donc la rétroactivité et, lorsqu’il s’en écarte par les difficultés pratiques que cette annulation rétroactive pourrait engendrer, le juge doit précautionneusement justifier sa décision.

Ainsi, si une application rétroactive de la décision emporte des effets trop lourds ou complexes, le juge peut-il décider de la non-rétroactivité (ou de « moduler » les effets de sa décision) sans que cela soit considéré comme portant atteinte au droit au recours. En l’espèce, tel était bien le cas, puisque l’annulation de la convention aurait conduit à recalculer la rémunération, et partant, les cotisations éventuellement versées aux organismes sociaux de tous les artistes-interprètes concernés par la convention collective, sur une période de plusieurs années…

Les conséquences d’une annulation ont également été jugées trop redoutables pour être appliquées aux accords mettant en place des IRP. Avant même que le nouveau texte ne soit applicable, la Cour de cassation avait décidé que « la nullité d’un accord collectif relatif à la mise en place d’institutions représentatives du personnel n’a pas d’effet rétroactif » (3). Difficile en effet d’imaginer les représentants du personnel « invalidés » rendant par exemple leurs heures de délégation ou leur protection !

A contrario, si l’application rétroactive de l’annulation n’a que des effets mineurs, le juge ne peut l’écarter, ni moduler les effets de sa décision, car c’est alors le droit au recours effectif qui pèsera le plus lourd dans la balance.

Ainsi par exemple, s’il n’est demandé l’annulation que d’une clause touchant seulement un nombre minime de personnes, sur une période courte. On peut penser à une prime exceptionnelle réservée à certaines catégories de personnel aux effectifs limités, et non soumise à cotisation.

Des questions demeurent toutefois. Que se passera-t-il en cas de disposition conventionnelle discriminatoire ? La discrimination impose souvent de reconstituer des rémunérations sur de nombreuses années, et pourtant l’atteinte à la légalité est également forte… Le droit au recours effectif pourrait être fortement atteint si l’annulation n’était pas rétroactive.

 

Quelles actions en justice sont concernées par cette règle ?

Enfin, troisième point, soulevé d’office par la Haute juridiction : la non-rétroactivité s’applique-t-elle aux autres actions engagées sur le fondement de l’illégalité de l’accord?

En l’espèce, un syndicat demandait des dommages-intérêts pour atteinte à l’intérêt collectif de la profession du fait de l’illégalité des dispositions de l’accord.

La Haute juridiction considère ici que le pouvoir du juge d’écarter, rappelons-le par exception, la rétroactivité de l’annulation ne s’applique pas : la possibilité, pour le juge, d’écarter la rétroactivité – ou d'en moduler les effets dans le temps de l’annulation de l’accord - ne s’applique pas aux « actions contentieuses déjà engagées à la date de sa décision sur le même fondement » (4).

Au-delà du cas d’espèce, que vise cette « exception à l’exception » (pouvoir du juge d’écarter la rétroactivité de l’annulation) ?

Le cas le plus évident est celui d’une action prud’homale engagée avant ou parallèlement à l’action en annulation de l’accord.

Par exemple, un salarié qui demande des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en se fondant sur l’illicéité d’une clause prévue par la convention collective dont l’employeur a voulu faire application, ce qu’il a refusé, avant d’être licencié. On peut penser à une mobilité que l’employeur aurait tenté d’imposer en application d’une clause conventionnelle ne définissant pas de zone géographique d’application…

Ce salarié ne pourrait se voir opposer la non-rétroactivité de l’annulation de l’accord collectif par le juge du tribunal judiciaire (par ailleurs saisi par le syndicat demandant quant à lui l’annulation de l’accord litigieux) dès lors que la juridiction prud’homale a bien été saisie avant que le juge du tribunal judiciaire ne rende sa décision !

 

(1) Cass.soc.6.01.21, n°17-28234, v. Forfait jours : les conséquences d’une convention privée d’effet.

(2) Cass.soc.6.06.18, n°17-21068.

(3) Même arrêt.

(4) Ce principe inscrit à l’article L.2262-15 in fine est issu du droit européen : CJUE, 26.04.94, aff. C-282/92.

TÉLÉCHARGEMENT DE FICHIERS