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Rupture conventionnelle : l'entretien et la signature le même jour, c'est possible...

Publié le 02/04/2024

La signature d’une rupture conventionnelle suppose d’avoir préalablement bénéficié d’un ou plusieurs entretien(s) avec son employeur. Mais si le Code du travail ne prévoit aucun délai minimum entre ce ou ces entretiens et la signature de la convention, ces deux formalités peuvent-elles pour autant intervenir le même jour ? C’est à cette question que répond la Cour de cassation. Cass.soc.13.03.24, n°22-10551.

Les faits

Le 22 février 2016, une salariée signe avec son employeur la rupture conventionnelle de son contrat de travail. Rupture qui sera homologuée par l'administration le 24 mars 2016.

Jusque-là, rien de bien compliqué. Si ce n’est qu’un mois plus tard, la salariée saisit le conseil de prud’hommes pour demander la nullité de cette rupture. Elle avance que la convention de rupture a été signée le même jour que le jour de l’entretien. Or, selon elle, l’absence de délai suffisant entre ces deux événements revient à priver l’entretien de toute portée…

Pour être tout à fait précis, il se trouve qu’à l’époque, la salariée et son employeur étaient en désaccord sur le montant du salaire à verser suite à une modification des horaires de travail. Et qu’après avoir été placée en arrêt de travail pour état dépressif jusqu’au 16 février 2016, la salariée est passée par la case médecine du travail qui l’a déclarée « apte ; à revoir dans 15 jours minimum». Près d’une semaine plus tard, elle signait la rupture de son contrat…

Ce que conteste la salariée, c’est donc la rapidité avec laquelle, dans un tel contexte, l’acte a été signé. Elle avance avoir été déstabilisée et avoir signé le document sous la pression et ce, sans avoir pu bénéficier d’un délai de réflexion (entre l’entretien et la signature). Et tout cela, alors même que l’employeur avait parfaitement connaissance (de par l’avis rendu par le médecin du travail) de sa fragilité et de sa vulnérabilité. Fragilité qui l’avait d’ailleurs empêchée de se rétracter par la suite… En bref, selon elle, la signature ne pouvait intervenir le même jour que l’entretien.

De son côté, la société soutient avoir respecté la procédure liée à la signature d’une convention de rupture. Elle rappelle que celle-ci peut intervenir au terme d’un seul entretien et qu’il n’y a pas de délai à respecter entre l’entretien et la signature.

Mais tandis que le conseil de prud’hommes donne raison à la salariée, celle-ci va se voir déboutée par la cour d’appel. Elle se pourvoit donc en cassation.

Le Code du travail prévoit-il un délai à respecter entre l’entretien et la signature ?

Selon l’article L.1237-11 du Code du travail, l’employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie. Cette rupture, qui ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties, résulte d’une convention signée par les parties.

L’article L.1237-12 du Code du travail ajoute, quant à lui, que les parties conviennent du principe de cette rupture lors d’un ou plusieurs entretiens.

Autrement dit, à la lecture de ces articles, une seule exigence légale semble ressortir : l’entretien doit avoir lieu avant la signature de la convention de rupture. En revanche, ces articles ne fixent aucun délai minimum à respecter entre ces deux formalités (contrairement à ce qui existe dans le cadre des procédures de licenciement où l’employeur doit respecter un délai minimum entre le jour de l’entretien préalable et l’envoi de la lettre de licenciement).

La question posée à la Cour de cassation était donc la suivante :

Quand bien même le Code du travail n’impose aucun délai légal entre l’entretien et la signature d’une rupture conventionnelle, ces 2 formalités peuvent-elles intervenir le même jour ?

Aucun délai minimum n’est à respecter entre l’entretien et la signature de la convention de rupture

La Cour de cassation ne voit aucun obstacle à ce que ces deux évènements interviennent le même jour tant que l’entretien s’est bien déroulé avant la signature de la rupture. Elle fait ainsi une interprétation littérale de l’article L.1237-2 du Code du travail « qui n’instaure pas de délai entre, d’une part l’entretien au cours duquel les parties au contrat de travail conviennent de la rupture du contrat, d’autre part la signature de la convention de rupture prévue à l’article L. 1237-11 du code du travail ».

Ainsi, à partir du moment où la cour d’appel a constaté que l’entretien s’était bien déroulé avant la signature de la convention et qu’il n’y avait eu aucun vice du consentement du salarié, celle-ci a légalement justifié sa décision.

La rupture conventionnelle repose sur une volonté commune des parties de rompre le contrat ainsi. C’est la raison pour laquelle les juges admettent qu’une telle rupture puisse intervenir y compris lorsqu’il existe un différend entre les parties.
En revanche, ce que n’admettent pas les juges (ni la loi d’ailleurs), c’est que cette rupture soit imposée par l’une à l’autre des parties. Ainsi, s’il s’avère que le litige en question est à l’origine de pressions ou de menaces pour contraindre le salarié à signer une rupture conventionnelle, cette dernière sera entachée d’un vice du consentement et donc non valable(1).
Par contre, c’est bien au salarié de rapporter la preuve que son consentement a été vicié(2). A charge ensuite pour les juges du fond d’apprécier souverainement l’existence ou non de ce vice(3).

Quelle est la portée de cet arrêt ?

Cette solution n’est pas nouvelle. La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de se prononcer à ce sujet, et d’admettre que, sauf vice du consentement du salarié, l’entretien et la signature pouvaient intervenir le même jour ou à un jour d’écart(4).

Dans une telle hypothèse, les juges peuvent donc tout à fait valider une convention de rupture du contrat dès lors qu’ils ont souverainement pu apprécier qu’aucune pression ou contrainte n’avait été exercée sur le salarié pour l’inciter à choisir la voie de la rupture conventionnelle.

On voit donc bien que, contrairement à ce que sous-entendait la salariée, la protection du consentement du salarié ne se joue pas dans le délai plus ou moins long qui sépare l’entretien et la signature de la rupture, mais bien à travers le délai de rétractation dont le salarié dispose après avoir signé (5). Ce qui n’oblige pas pour autant le salarié à accepter de signer trop rapidement la rupture de son contrat, même si, dans certains cas, la crainte que l’employeur renonce finalement peut aussi peser dans la balance….

Quoi qu’il en soit, tout cela ne doit pas empêcher les juges du fond, dès lors qu’il y a une précipitation manifeste, de redoubler de vigilance et de vérifier si l’employeur n’a pas exercé de pression sur le salarié pour qu’il se positionne. Car c’est bien au cas par cas que les juges vont apprécier les circonstances entourant ce consentement pour décider de valider ou non la rupture.

 

(1) Cass.soc.23.05.13, n°12-13865.

(2) Cass.soc.17.03.21, n°19-25313 ; Cass. soc.15.11.23, n°22-16957.

(3) Cass.soc.16.09.15, n°14-13830.

(4) Cass.soc.03.07.13, n°12-12268; Cass.soc.19.11.14, n°13-21979.

(5) Art. L.1237-13, al.3: "A compter de la date de signature par les deux parties, chacune d'entre elles dispose d'un délai de 15 jours calendaires pour exercer son droit de rétractation [...]".

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