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CSE : l’interdiction de voter des salariés représentant l’employeur n’est pas conforme à la Constitution

Publié le 24/11/2021

En son article L. 2314-18, le Code du travail précise quelles sont les conditions à remplir par le salarié pour pouvoir voter aux élections professionnelles. En s’y référant, la Cour de cassation considère de longue date que le salarié dont les fonctions consistent à représenter l’employeur n’a accès ni à la capacité de voter, ni à celle d’être candidat. Par une décision récente, le Conseil constitutionnel a jugé que cette exclusion était inconstitutionnelle. Cons. const., 19.11.21, n° 2021-947 QPC

Reprochant à l’article L. 2314-18 du Code du travail interprété par la jurisprudence de la Cour de cassation d’exclure les salariés représentant l’employeur du droit de vote, le syndicat CFE-CGG a décidé de poser, à son sujet, une question prioritaire de constitutionnalité. Avec succès, nous le verrons. 

Qui est électeur et éligible aux élections CSE ?

Ce sont les articles L. 2314-18 et L. 2314-19 du Code du travail qui viennent préciser les conditions qu’un salarié doit remplir pour être électeur et pour être éligible aux élections CSE.

Article L. 2314-18 du Code du travail : « sont électeurs les salariés des deux sexes, âgés de 16 ans révolus, travaillant depuis trois mois au moins dans l’entreprise et n’ayant fait l’objet d’aucune interdiction, déchéance ou incapacité relatives à leurs droits civiques ».

Article L. 2314-19 alinéa 1er du Code du travail : « Sont éligibles les électeurs âgés de dix-huit ans révolus, et travaillant dans l'entreprise depuis un an au moins, à l'exception des conjoint, partenaire d'un pacte civil de solidarité, concubin, ascendants, descendants, frères, sœurs et alliés au même degré de l'employeur ».

A leur lecture, vous pouvez le constater : ces articles ne disent rien des salariés mis en position de représentation de l’employeur. Leur exclusion du droit de voter, ce n’est donc pas dans la lettre du texte qu’il convient de la chercher, mais dans l’interprétation que la Cour de cassation en fait. A la lumière de ces articles, celle-ci exclut de longue date les salariés qui disposent d’une « délégation écrite particulière d’autorité » leur permettant d’être assimilés au chef d’entreprise(1), ainsi que ceux qui représentent effectivement l’employeur devant les institutions représentatives du personnel(2). Position d’ailleurs très récemment confirmée pour des salariés, en l’espèce des directeurs de magasin qui avaient pour mission de représenter l’employeur dans le cadre de leurs relations avec les représentants de proximité(3).

Cour de cassation, Conseil constitutionnel : deux approches, deux logiques…

En excluant ces salariés de leur droit de voter et de se présenter aux élections, la Cour de cassation cherche en tout premier lieu à ne pas altérer le sens même du droit de la représentation du personnel. Dans le fonctionnement du CSE, les salariés qui représentent l’employeur sont en effet davantage du côté employeur que salarié.

Selon la Cour, leur permettre de voter, et a fortiori d’être élu, ne pouvait donc que contribuer à brouiller les pistes et à déséquilibrer le fonctionnement de la représentation du personnel dans l’entreprise.

Force est de constater que le Conseil constitutionnel ne voit pas les choses de cette manière ! Du salarié représentant l’employeur, il retient en tout premier lieu qu’il s’agit d’un salarié.

Prenant en quelque sorte le contrepied de la Cour de cassation, il s’attache donc davantage à son statut (de salarié) qu’à sa fonction (de représentant de l’employeur). Et pour justifier de la mise à mal de la Constitution, il s’en réfère sans grande surprise au huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, selon lequel « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises »(4). « Tout travailleur », y compris donc les salariés à qui il incombe de représenter l’employeur auprès des autres salariés… Aussi, s’il est pour lui normal que ceux-ci ne soient pas éligibles, rien ne justifie par contre qu’ils ne puissent voter ! 

 

Un article L. 2314-18 du Code du travail désormais en sursis

Cette décision du Conseil constitutionnel met en exergue l’une de ses prérogatives parfois méconnues : celle consistant à contrôler la constitutionnalité d’un texte à la lumière de l’interprétation jurisprudentielle qui en est faite. Comme nous l’avons vu plus haut, l’article L. 2314-18 du Code du travail ne dit effectivement rien à propos des salariés représentant l’employeur… Mais comme c’est sur ce fondement légal que la Cour de cassation décide de ne pas conférer le droit de voter aux salariés représentant l’employeur, c’est précisément cet article là qu’il décide de censurer !  

Le Conseil constitutionnel prend cependant soin de ne pas rayer cet article d’un trait de plume. C’eût été affectivement fâcheux, car s’il avait dû tomber du jour au lendemain, il n’y aurait plus eu au Code de disposition fixant les conditions d’électorat aux élections CSE !

Pour éviter cet écueil, le Conseil constitutionnel a décidé de « reporter au 31 octobre 2022 la date de son abrogation ». C’est donc désormais au législateur qu’il revient de se saisir de la question pour qu’une nouvelle version de cet article puisse advenir avant cette date. Nouvelle version qui ne pourra que mettre un terme à la jurisprudence constante de la Cour de cassation telle que nous la connaissons aujourd’hui…

 

 

 

 

[1] Cass.soc. 06.03.01, n° 99-60.553.

[2] Cass.soc. 12.07.06, n° 05-60.300.

[3] Cass.soc. 31.03.21, n° 19-25.233 (décision ayant en son temps fait l’objet d’une brève sur le site CFDT).

[4] Paragraphe 7 de la décision : « Toutefois, en privant des salariés de toute possibilité de participer en qualité d’électeur à l’élection du CSE, au seul motif qu’ils disposent d’une telle délégation ou d’un tel pouvoir de représentation, ces dispositions portent une atteinte manifestement disproportionnée au principe de participation des travailleurs ».

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