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Droit d’alerte économique : une prérogative à usage exclusif du CSE central

Publié le 05/07/2022

Dans une entreprise multi-établissements, lorsque le CSE central n’a pas déclenché le droit d’alerte économique, un CSE d’établissement peut-il exercer ce droit et désigner un expert pour l’assister ? Non, répond la Cour de cassation. Peu importe, pour la Haute juridiction, que la situation économique soit effectivement préoccupante ! Cass.soc.15.06.2022, n°21-13312, publié.

Faits, procédure et prétentions

Une entreprise -composée d’un siège, de trois sites de production, d’un site de montage, d’un site de recherche et développement et d’un centre de distribution- traverse des difficultés économiques. Pour y faire face, elle décide de mettre en œuvre une réorganisation, avec des licenciements collectifs pour motif économique et l’arrêt de l’activité sur deux sites.

La procédure de consultation est engagée par la société aussi bien au niveau central que dans les comités économiques et sociaux (CSE) des établissements. Lors d’une réunion, le CSE central désigne un expert. Puis, au cours d’une réunion extraordinaire, le CSE d’un établissement voué à la fermeture décide d’exercer le droit d’alerte économique et désigne un expert pour l’assister comme l’y autorise le Code du travail.

L’article L.2312-63 du Code du travail prévoit un droit d’alerte économique que le CSE peut exercer lorsqu’il « a connaissance de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l’entreprise ». Lorsqu’il exerce ce droit, l’article L.2312-64 prévoit que le CSE est en droit de se faire assister par un expert-comptable. Le droit du CSE de désigner un expert-comptable pour l’assister dans l’exercice de son droit d’alerte économique est précisé à l’article L.2312-92, I, 2° du Code du travail.

La société saisit le tribunal judiciaire et demande l’annulation de la délibération du CSE d’établissement par laquelle l’expert a été désigné. Selon elle, le droit d’alerte appartient exclusivement au CSE central.

Le tribunal judicaire donne raison au CSE d’établissement, pour deux raisons : la première étant que le CSE central n’a pas exercé la prérogative, la seconde qu’il ne fait pas de doute que la situation économique de l’entreprise est préoccupante et que la restructuration aura des effets sur l’établissement.

La société forme donc un pourvoi.

Seul le CSE central peut déclencher le droit d’alerte économique

La Cour de cassation a donc dû se prononcer sur le point de savoir si, lorsque le CSE central n’exerce pas le droit d’alerte économique, et que la situation économique de l’entreprise est préoccupante, un CSE d’établissement peut l’exercer.

Pour les juges du fond, la « condition nécessaire et suffisante de la mise en œuvre du droit d’alerte » est remplie dès lors que la situation économique est bel et bien préoccupante.

La Haute juridiction ne l’entend pas ainsi.  Selon elle, « dans les entreprises divisées en établissements distincts, l'exercice du droit d'alerte prévu à l'article L. 2312-63 du code du travail étant subordonné à l'existence de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise, les comités sociaux et économiques d'établissement ne sont pas investis de cette prérogative qui appartient au seul comité social et économique central. »

La Cour de cassation casse donc la décision des juges du fond sur ce point par une décision publiée et sans renvoi (aux fins de bonne administration de la justice).

Si la formulation n’éclaire pas vraiment ce qui a conduit la Cour de cassation à censurer les juges du fond (puisque la situation économique préoccupante de l’entreprise n’est absolument pas remise en cause), les articles du Code visés permettent de mieux comprendre ses motivations. La Cour vise non seulement les articles sur le droit d’alerte économique et sur l’expertise, qui effectivement posent comme condition d’exercice du droit d’alerte que la situation économique de l’entreprise soit en péril, mais aussi l’article L. 2316-1 du Code du travail. Que nous dit ce texte ? « Le comité social et économique central d'entreprise exerce les attributions qui concernent la marche générale de l'entreprise et qui excèdent les limites des pouvoirs des chefs d'établissement. »

 Et c’est là le nœud du problème : la situation économique est en général appréciée au niveau de l’entreprise ! Les chefs d’établissement n’ont pas la main sur cette situation et elle est rarement spécifique à un établissement.

C’est donc ainsi que nous pouvons comprendre cette solution qui autrement pourrait paraître bien injuste lorsque la raison d’être du droit d’alerte économique (la situation économique préoccupante) est établie, comme en l’espèce.

Il est possible toutefois d’émettre une petite réserve pour les cas, certes rares et particuliers, dans lesquels il existe une comptabilité séparée des établissements. Ceci a pu conduire dans le passé à admettre que la consultation sur la situation économique et financière ait lieu au niveau d’un établissement (1). Pourquoi alors ne pourrait-on pas concevoir qu’un CSE d’établissement exerce son droit d’alerte ?

En effet, le CSE d’établissement est censé avoir « les mêmes attributions que le comité social et économique d’entreprise, dans la limite des pouvoirs confiés au chef de cet établissement » (2). Or une comptabilité d’établissement n’est-elle pas le signe de pouvoirs du chef d’établissement en matière économique ?

En tout état de cause, un accord collectif peut prévoir des dispositions autorisant les CSE d’établissement à exercer ce droit, en particulier lorsque le CSE central ne l’a pas exercé (3).

(1) Cass.soc.16.01.19, n°17-2660.

(2) L.2316-20 C.trav.

(3) L.2312-4 C.trav.1

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