Retour

Statut protecteur : la même indemnité pour tous ?

Publié le 05/06/2019

La Cour de cassation décide pour la première fois que l’indemnité dûe au représentant de la section syndicale (RSS) en réparation de la violation du statut protecteur et en l’absence de réintégration est égale aux salaires qu’il aurait dû percevoir s’il n’avait pas été évincé dans la limite de 30 mois. Une évolution qui s'inscrit dans un mouvement plus général qu'il faut avoir en tête pour défendre au mieux les militants confrontés à cette atteinte au syndicalisme et à leurs droits. Cass.soc., 15.05.19, n°18-11036.

Cette décision était attendue depuis la création en 2008 de ce nouveau représentant de la section syndicale non représentative dans l’entreprise. Elle s’inscrit dans un mouvement d’harmonisation opéré par la Cour et il y a toutes les raisons de penser que la même solution serait à retenir s’agissant du délégué syndical.

  • Faits, procédure, prétentions

En 2012, M. H est désigné représentant de section syndicale (RSS) d’un établissement de la société ALTRAN Technologie.  Il est licencié 2 mois plus tard pour faute grave sans que l’employeur ne respecte la procédure spéciale de licenciement. L’employeur et le salarié ont dans un premier temps conclu une transaction au terme de laquelle le salarié renonçait à contester son licenciement en contrepartie d’une somme d’argent.

Le salarié a finalement saisi le conseil de prud’homme, le litige s'étant poursuivi devant la Cour d’appel de Paris qui a condamné l’employeur au versement d’une indemnité au titre de la violation du statut protecteur correspondant à 36 mois de salaire, soit l’ensemble des salaires que le salarié aurait dû percevoir à partir de son licenciement illicite jusqu’à la fin des mandats électifs, soit de novembre 2012 à novembre 2015.

C’est ainsi que l’affaire s’est présentée devant la Cour de cassation, suite au pourvoi de l’employeur estimant que la réparation devait être limitée à 12 mois. En effet pour ajouter au suspens, rappelons que la Cour de cassation a toujours eu un raisonnement différent entre le délégué syndical et les élus, en raison de la durée indéterminée du mandat au moins jusqu’en 2008. Même si le principe général veut que la réparation soit intégrale (Cass.soc.,1.10.03, n°01-41418), la Cour a décidé pour fixer l’indemnité que le dénominateur commun du mandat de DS dont la durée n’était pas prévisible avant 2008, et ne l’est toujours pas à l’intérieur d’un cycle électoral, correspond à la période de survie de la protection à la fin du mandat, soit 12 mois (1).

Le représentant du personnel n’est pas licenciable ? C’est un cliché qui revient souvent des gens éloignés du syndicalisme. Et pourtant les études statistiques de la DARES dressent un tout autre tableau : « Le nombre de demandes d’autorisation de licenciements et de ruptures conventionnelles des contrats de salariés protégés dans le cadre de leurs fonctions de représentation du personnel s’élève à près de 20 000 en 2014. Au cours de la période 2010-2014, plus des trois quarts des demandes de licenciement et près de 95 % des demandes de rupture conventionnelle ont été autorisées par l’inspection du travail ».  Ces chiffres expliquent que certains utilisent le terme de salarié exposé plutôt que salarié protégé !

  • L’arrêt, son analyse, sa portée

 

- Le RSS à la même enseigne que les élus de l'entreprise : 

Assez logiquement la Cour de cassation a censuré le raisonnement audacieux de la Cour d’appel.  Pour autant, elle n’a pas appliqué au RSS la jurisprudence jusqu’alors constante à propos du DS ! En effet, la Cour décide que « le RSS qui ne demande pas la poursuite du contrat de travail illégalement rompu a droit à une indemnité pour violation du statut protecteur égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis son éviction jusqu'à l'expiration de la période de protection, dans la limite de trente mois, durée minimale légale du mandat des représentants élus du personnel augmentée de six mois ».

Qu’est-ce que la durée minimale légale du mandat des représentants élus ? La Cour de cassation a mis fin en 2015 a une question qui pouvait légitimement se poser depuis la loi du 2 août 2008 qui a fait évoluer la durée des mandats des représentants du personnel de deux à quatre ans. Cette évolution aurait pu faire passer l’indemnité à 54 mois maximum lorsque le représentant est évincé au tout début de son mandat. Mais la Cour n’a pas été de cet avis en raison de la possibilité de fixer par accord collectif une durée comprise entre 2 et 4 ans. Elle a cru bon d’en tirer pour conséquence l’existence d’une « durée minimale légale » du mandat qui ne pourra jamais être inférieure à deux ans. Selon elle, cette durée doit servir de référence pour fixer le montant des indemnisations dues en cas de violation du statut protecteur, à laquelle s'ajoute les 6 mois correspondant à la durée de protection à la fin du mandat, soit un total de 30 mois maximum.

 

- Bientôt le même plafond pour tous les mandats ? 

La Cour de cassation continue d’harmoniser sa jurisprudence pour violation du statut protecteur. Un attendu de principe similaire a déjà été rendu pour des mandats très différents notamment les conseillers prud’hommes (Cass.soc., 3.02.16, n°14-17.000), les conseillers du salarié (Cass.soc., 30.06.16, n°15-12.982). Cette harmonisation peut être saluée dans une logique d’égalité de traitement et de facilité de compréhension. Toutefois cette égalité s’applique à des situations qui ne sont pas tout à fait comparables pour des mandats internes à l’entreprise, calés sur la notion de cycle électoral, et pour des mandats externes dont la durée peut aller au-delà de 4 ans…

Ce qui parait donc critiquable c’est bien la logique de la fixation d’un plafond unique à 30 mois et, sur ce point, on ne peut que saluer la tentative de la Cour d’appel de Paris dont l’audace n’a pas été vaine, en témoigne cette première jurisprudence pour le RSS. En toute logique cette même solution devrait être rendue pour le DS. 

Ce plafond même limité présente, il faut bien le reconnaïtre, un caractère dissuasif, d’autant que l’employeur qui a évincé un représentant du personnel sans autorisation sera redevable également d’indemnités pour licenciement illicite qui comprennent :

- les indemnités de fin de contrat (indemnité de licenciement, indemnités compensatrices de préavis et de congés payés), s'il remplit les conditions y ouvrant droit ;

- une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant ne peut pas être inférieur aux salaires des 6 derniers mois  (cette indemnité n'est pas plafonnée).

Le juge peut aussi accorder une indemnité spécifique en raison du caractère discriminatoire du licenciement et également au titre du préjudice moral(2)  ! Enfin rappellons que la violation du statut protecteur est également pénalement sanctionnée (3).


(1) Art. L. 2411-3 C.trav.

(2) Cass.soc., 12.02.91, n° 86-45459

(3) Notamment pour le délégué syndical, cf. Art. L. 2431-1 C.trav. : « Le fait de rompre le contrat de travail d'un délégué syndical ou d'un ancien délégué syndical en méconnaissance des dispositions relatives à la procédure d'autorisation administrative prévues par le présent livre est puni d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 3 750 euros. »